09. Juli 2017 · Kommentare deaktiviert für „Libye : Un passage à hauts risques“ · Kategorien: Algerien, Libyen · Tags: , ,

El Watan | 07.07.2017

En avril dernier, 53 harraga algériens, dont une vingtaine de Kabylie, ont tenté de rejoindre les côtes italiennes à partir de la Libye. Ces derniers ont été emprisonnés, ont évité de justesse la mort à plusieurs reprises et ont même été vendus aux marchands d’organes. Un rescapé originaire de Tizi Ouzou a accepté de nous livrer son témoignage. Récit d’un voyage vers la mort.

«J’ai vécu un cauchemar en Libye. Avec d’autres harraga algériens, nous avons été emprisonnés dans des conditions inhumaines par les garde-côtes libyens et on a failli être tués à plusieurs reprises par leurs balles. Franchement, je ne souhaite à personne de vivre ce que j’ai vécu. C’était l’enfer», témoigne Mokhtar, un trentenaire, originaire de Tizi Ouzou, qui a tenté de rejoindre en mai dernier les côtes italiennes à partir de la Libye. Pour ce jeune que nous avons rencontré à la ville de Tizi Ouzou, «s’exiler était une évidence». Il nous raconte qu’il ne voyait pas d’autres solutions devant lui hormis celle de quitter l’Algérie. «J’ai choisi l’exil non pour l’argent mais pour mieux vivre. Ceux qui veulent s’enrichir n’ont qu’à rester en Algérie.

Moi, j’aspire à vivre en démocratie, dans un pays où on me respecte et où je peux respirer l’air libre. J’ai l’impression de vivre en prison ici», argumente-t-il. En avril dernier, une vingtaine de jeunes originaires de Tizi Ouzou ont décidé d’atteindre les côtes italiennes en passant par la Libye. Ces derniers ont peut-être choisi l’un des chemins les plus dangereux. La Libye est non seulement un pays en guerre mais vit encore sous la menace permanente du terrorisme.

Cette voie choisie par ces jeunes reste inédite, car les harraga algériens sont plutôt réputés pour rejoindre l’Europe en partant de la Turquie, puis la Grèce ou tout simplement des côtes algériennes, dont Annaba. Mokhtar, qui a vécu cette expérience, est toujours sous le choc. Son voyage, il le raconte en tremblant : «La vie humaine n’a aucune valeur en Libye. Beaucoup ont péri. J’avais conscience que c’était dangereux, mais je ne voyais pas d’autre solution. J’avais une seule chance de quitter ce pays et je l’ai saisie.»

Grèce

Fin avril. Contacté par des amis qui ont réussi à atteindre l’Italie par la Libye, Mokhtar décide donc de faire pareil. «Je n’ai pas voulu aller en Grèce. C’est devenu dangereux, selon mes informations. Rares sont ceux qui ont réussi à quitter ce pays et rejoindre les autres pays de l’Europe. Il y a de moins en moins de gens qui partent de là-bas.

Je n’avais pas de contact avec des passeurs des côtes algériennes, sinon j’aurais pu opter pour cette solution. Ce sont des amis qui ont réussi à atteindre l’Italie via la Libye qui m’ont conseillé de faire pareil. Ils m’ont mis en contact avec deux passeurs, dont l’un est un Algérien établi à Tunis et l’autre un Libyen chargé de nous recevoir dans son pays. L’Algérien, lui, devait nous accueillir en Tunisie et nous envoyer à bord d’un taxi vers notre destination finale en Libye.

L’autre avait pour mission d’assurer notre hébergement jusqu’à notre embarcation vers l’Italie», confie-t-il. La destination finale dont parle Mokhtar est Zaouïa, une ville du nord-ouest de la Libye, connue surtout pour la contrebande et la harga. Mais avant, Mokhtar a d’abord fait Alger-Annaba puis Annaba-Tunis, où il a été accueilli par le premier passeur, l’Algérien. «Ce sont les gens de Jijel et de Tizi Ouzou qui optent le plus pour ce chemin.

Au Maghreb, ce sont les Marocains qui restent en première position, puis les Tunisiens et enfin nous, les Algériens», explique-t-il. Arrivé à Tunis, Mokhtar a payé à l’Algérien 200 euros pour pouvoir prendre le taxi accrédité par le réseau afin de l’acheminer en Libye. «Nous sommes entrés avec nos passeports. On nous a expliqué qu’il faut dire aux gens que nous allons travailler à Tripoli. J’avais 100 euros de plus et un seul pantalon. D’ailleurs, je l’ai donné à un Guinéen qui n’avait rien sur lui. Il avait tout perdu», raconte-t-il.

Poulaillers

Ce n’est que quand il a franchi le poste frontalier du côté libyen que Mokhtar a pris réellement conscience du danger qu’il risquait. «D’abord, j’ai compris que tout est une question d’argent avec la police des frontières des deux pays. Si vous payez, vous pouvez tout passer. Du côté libyen, c’étaient des gamins armés qui assuraient la sécurité. Les Libyens étaient étonnés de nous voir entrer dans leur pays qu’eux-mêmes quittaient à cause de la guerre.

Ce n’est qu’en entamant la route vers Zaouïa que nous avons commencé à voir les signes de la guerre. Les images nous ont quand même beaucoup marqués», témoigne-t-il. Arrivés à Zaouïa, Mokhtar et ses compatriotes ont été accueillis par leur passeur qu’ils rencontrent pour la première fois. Cette ville est décrite par Mokhtar comme «un grand marché de candidats à la harga». «Il y avait de toutes les nationalités. Les frais du voyage vers l’Italie sont de 1500 euros par personne.

J’avoue que les Algériens étaient mieux respectés. En réalité, tout dépend des passeurs, mais il faut dire que le nôtre était généreux avec nous. Nous avons eu droit à des conditions confortables. Mais les autres, notamment les Subsahariens et les Bangladais, ils étaient traités comme des animaux.

D’ailleurs, ils étaient logés dans des poulaillers. Les Libyens les appellent les esclaves», confie-t-il. Des centaines de passeurs, chacun avait sa spécialité. Et quand on parle de spécialité dans ce domaine, c’est qu’on parle de pays. «Là-bas, il est strictement interdit d’avoir un téléphone ou d’utiliser la connexion internet de peur que vous soyez localisé. Evidemment, nous nous sommes débrouillés comme nous pouvions. Dans mon cas, j’ai réussi à avoir un téléphone pour donner de mes nouvelles à ma famille. Mais ce n’était pas facile», assure-t-il.

Chalutier

Mokhtar et ses compagnons ont attendu 25 jours avant d’embarquer. «Nous étions à la fois très heureux d’apprendre la nouvelle et effrayés en même temps, car nous avions entendu beaucoup parler des personnes qui ont péri en pleine mer où de gens qui avaient été tués par les deux gardes-côtes libyens et italiens. Parfois, on tente même de renverser le bateau. Mais la plupart de ceux qui meurent en pleine mer sont d’Afrique subsaharienne.

Ces derniers partent avec des moyens dérisoires, très nombreux dans de petits Zodiacs. Ils sont une cible facile, surtout pour les gardes-côtes italiens», raconte-t-il avec amertume. Mokhtar explique que seuls les passeurs qui surveillent le mouvement de la mer donnent le signal du départ. Ce jour-là est arrivé. Mokhtar a embarqué vers 2h, le 17 mai dernier, avec près de 500 personnes dans un chalutier de 18 m2 seulement.

Le voyage a duré deux heures et demie, selon lui. Mais à une demi-heure de la zone maritime italienne, les gardes-côtes libyens débarquent et interceptent le bateau. Et c’est ici que commence le cauchemar de Mokhtar et ses compagnons. «Dans notre bateau, nous étions majoritairement des Algériens avec quelques Marocains. Les gardes-côtes libyens ont commencé par tirer sur notre bateau. Ils ont touché un Marocain au visage.

Je ne sais même pas s’il est toujours en vie ou pas. Nous avons été pris de panique. Beaucoup ont tenté de sauter dans l’eau, mais c’était impossible de le faire. Les Libyens nous ont cernés. Nous avons décidé de nous rendre sous la menace de leurs armes. Ils ont même tenté de renverser notre chalutier en le bousculant avec le leur.

Un vrai cauchemar», confie-t-il. Mokhtar raconte que quand les gardes-côtes sont montés sur le bateau, ils ont demandé à tout le monde de vider leurs proches. «Il cherchaient les portables et l’argent (euro et dollar américain), précise-t-il. Il y avait parmi nous ceux qui ont réussi à cacher leur argent, mais les Libyens ne les quittaient pas des yeux. Pour eux, toute personne qui voyage a forcément de l’argent sur elle.»

Nus

Conduits vers les côtes libyennes, le rêve de ces Algériens d’atteindre l’Italie se termine là. Arrivé à Zaouïa vers 10h, Mokhtar ignorait ce qui l’attendait. Lui, il était de ceux qui avaient caché l’argent dans la partie de la ceinture de leurs pantalons. «Les gardes-côtes nous ont demandé d’ôter tous nos vêtements.

Comme moi, beaucoup parmi nous étaient carrément nus. Ils ont commencé par me tirer des balles entre les jambes, me faire peur pour me pousser à leur donner mon argent. Tabassé, j’ai fini, sous la menace, par le leur donner le troisième jour», se souvient-il. Mokhtar raconte que lui et les autres Algériens ont tous été emprisonnés dans des conditions qu’il décrit comme «inhumaines». «Nous étions dans une prison qui ne dit pas son nom.

On nous donnait, une fois par jour, un plat de pâtes et un morceau de pain pour sept personnes. Nous étions affamés, au bout du septième jour, je pouvais tuer pour un morceau de pain», avoue-t-il. Le passage de Mokhtar en prison a été très pénible, selon ses dires. C’est d’ailleurs ce qui l’a le plus marqué. «Certains détenus étaient blessés. Il y en a même qui sont morts. Aucun n’était algérien. Je vous assure que nous ne ressentions rien du tout. Nous voyons les cadavres comme si de rien était.

Je me rappelle qu’un jour, on nous a servi à manger au moment où un détenu de nationalité soudanaise, si je me rappelle bien, a commencé à rendre l’âme. Je vous assure que personne n’a pris la peine de le regarder ou de l’assister lors de son dernier souffle. Nous avions tellement faim que nous avons continué à manger devant lui. Car vous n’allez rien trouver plus tard si vous essayez de l’aider. Nous étions déshumanisés, sans cœur et sans âme. J’ai failli perdre la tête, car je ne comprenais pas ce qui m’était arrivé. Comment suis-je devenu ainsi ?» s’interroge-t-il.

Diplomate

Lueur d’espoir, car au bout du septième jour, un homme bien habillé fait signe de loin à Mokhtar et ses amis. «Etes-vous algériens ?» a-t-il demandé. «Oui, et nous sommes des dizaines ici», répondent les harraga algériens. La personne en question était un diplomate algérien dépêché, selon Mokhtar, pour s’enquérir de la situation des détenus à Zaouïa. Mokhtar a pu enfin respirer, car enfin les autorités algériennes ont été informées de leur présence en Libye, mais sans plus. Au bout du 11e jour, le diplomate réapparaît.

Mais cette fois-ci, c’est pour les faire sortir de là, ce qui a été accueilli avec une énorme joie par les détenus algériens. «Je ne trouve plus les mots pour remercier nos ambassades et responsables consulaires ainsi que les autorités algériennes pour tout ce qu’ils ont fait pour nous. Je ne peux imaginer ce qui aurait pu nous arriver sans leur intervention», insiste-t-il.

Embarqués dans un bus, les 23 premiers harraga libérés ont vécu un autre calvaire au cours de leur chemin. A la sortie de Zaouïa, en direction de Tripoli où ils devaient être reçus par les autorités libyennes et les services consulaires algériens avant leur rapatriement en Algérie, une chose inattendue est arrivée. «Des policiers libyens ont arrêté le chauffeur de bus et l’ont emmené sans nous donner plus d’explications.

Nous n’avons rien compris. On nous a dit plus tard que nos corps avaient été vendus aux marchands d’organes. Figurez-vous, ils achètent des gens, les tuent et vendent leurs organes. Un Subsaharien est vendu, selon ce qui m’a été dit, entre 300 et 600 euros. Les Algériens à 1200 euros», confie-t-il toujours sous le choc.

Sauvé par les policiers libyens, Mokhtar raconte que le calvaire a pris fin à ce moment-là. «Nous avons été accueillis comme des rois. J’ai enfin retrouvé l’hospitalité du peuple libyen. Ils nous ont fait à manger et nous n’avons manqué de rien. Pour vous dire, à Tripoli, les personnes conduites au centre de transit où nous étions n’avaient pas la liberté de circuler. Mais tout a changé depuis notre arrivée. Je pense que les autorités algériennes y ont été pour beaucoup, mais aussi les Libyens rencontrés à Tripoli étaient très généreux et sympathiques avec nous», assure-t-il.

Aéroport

Le 7 juin dernier, les services du consulat algérien à Tripoli débarquent avec l’Algérien diplomate qui, selon Mokhtar, les a suivis depuis et a veillé à ce qu’ils ne manquent de rien. C’était le jour du départ pour l’Algérie. «Je n’en croyais pas mes yeux. J’étais tellement content que j’ai failli m’évanouir en apprenant la nouvelle», assure-t-il, souriant. Attendus par leurs familles à l’aéroport Houari Boumediène, les harraga algériens revenus du calvaire de la Libye n’ont pu voir les leurs que 24 heures plus tard.

Pour cause, ils ont d’abord été entendus par les services de la police avant d’être relâchés dans la soirée du 8 juin. Selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères, les 32 autres harraga, restés en détention à Zaouïa, ont pu être rapatriés quelques jours plus tard. C’est la fin d’une expérience inhumaine pour Mokhtar dont il n’est pas près d’oublier le moindre détail. La question du pourquoi de son exil le met parfois dans tous ses états.

Il en parle, ressasse et tente d’expliquer son malaise et raconter son désarroi en Algérie.  «Nous sommes dans un pays où vivent des gens qui vénèrent l’argent. Là, on écarte les compétences et on encourage l’ignorance. Avec l’argent, vous pouvez tout acheter, y compris les consciences. Comment voulez-vous que je prenne le risque de me marier et d’avoir des enfants dans un pays pareil. Les Etats qui se respectent se construisent sur la base de l’éducation et de la justice.

Or il n’y a ni l’une ni l’autre dans notre pays. Moi, je cherche la paix morale où chacun peut mener sa vie sans que personne n’y interfère. Je veux vivre là où les gens reconnaissent la valeur de l’humain. J’ai demandé un visa à plusieurs pays européens et aucun d’eux ne me l’a accordé. Comment voulez-vous que je fasse ? J’ai donc été obligé d’opter pour la harga. Mais sachez une chose, mes pieds se poseront un jour ou l’autre en Europe.»

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