02. August 2015 · Kommentare deaktiviert für Calais: Domino-Abschottung · Kategorien: Frankreich, Großbritannien

Quelle: Le Monde

A Calais, la France est « le bras policier » de Londres

Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)

« Calais : envoyez l’armée ! » Dans sa rage à défendre le Royaume-Uni, « assiégé » par quelques milliers de migrants, la presse populaire britannique feint d’ignorer le sens exact de cet « appel » lancé au gouvernement Cameron : envoyer des soldats anglais sur le sol français pour régler une question que Paris se montre « incapable » de gérer.

Insensée, voire absurde, cette revendication rencontre un fort écho dans un pays qui ne peut plus se passer du cordon ombilical souterrain qui, de Folkestone à Calais, la relie au continent. Les vacanciers retardés dans leur quête de soleil, les routiers exténués par de longues heures d’attente sont nombreux à réclamer la manière forte. Comme s’ils rêvaient d’un tunnel à sens unique. Le Royaume-Uni ne serait plus une île pour ses habitants, mais le resterait pour les continentaux.

Dans son outrance même, la revendication d’un appel à l’armée contre des demandeurs d’asile sur le sol d’un pays étranger traduit une réalité que les gouvernements français successifs font tout pour masquer : au fil des crises à Calais, les Britanniques ont délégué aux Français la charge de contrôler l’imperméabilité de leur frontière terrestre qu’est le tunnel sous la Manche.

Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, avait signé en 2003 le traité du Touquet qui permet les contrôles au départ dans les ports. Onze ans et bien des accords franco-britanniques plus tard, son successeur actuel, Bernard Cazeneuve, s’est targué d’avoir obtenu de Londres un énième financement britannique (5 millions d’euros par an) pour « sécuriser le port de Calais ».

Mais cette politique dite « de coopération » apparaît singulièrement asymétrique. D’innombrables accords bilatéraux, pour certains non publiés, ont organisé la délocalisation, dans les gares et les ports français, des contrôles qui devraient être logiquement effectués à l’arrivée en Grande-Bretagne par des fonctionnaires britanniques. Ces textes conduisent « à faire de la France le “bras policier” de la politique migratoire britannique », a constaté, en juillet, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Cette instance insiste sur le caractère « léonin » de ces arrangements dont la France tire un bénéfice financier sans rapport avec le coût financier d’une situation de crise humanitaire à répétition. Les 5 millions d’euros annuels versés par Londres ne suffisent même pas à financer le centre d’accueil de jour Jules-Ferry aménagé en périphérie de Calais (10 millions, dont 6 pour la France et 4 pour l’Union européenne).

Cul-de-sac pour migrants

Sans compter le coût humain d’accords qui ont transformé Calais en cul-de-sac pour migrants amenés à survivre dans des conditions – ni eau ni électricité dans la « lande » venteuse qui leur est réservée – bannies par les conventions internationales. Sans compter non plus le coût politique – dans une France minée par la rhétorique xénophobe – et moral, lié à la banalisation du rejet d’hommes et de femmes – Afghans, Syriens, Irakiens, Soudanais, Erythréens – qui ont pris le risque de  fuir leur pays en butte à l’oppression, aux guerres ou aux crises parfois attisées par les interventions occidentales. Sans compter, encore, la dégradation de l’image de la France, perçue soit comme inhumaine, soit comme inefficace. Et celle de l’UE, incapable d’accueillir quelques milliers d’hommes au moment où le Liban abrite un nombre de réfugiés équivalent à un tiers de sa population.

De fait, la France est devenue garante du choix britannique de ne pas adhérer à la convention de Schengen sur la libre circulation des personnes. Bizarrement, Calais se situe en périphérie de cette zone européenne. Le paradoxe va encore plus loin : les accords bilatéraux franco-britanniques exonèrent Londres d’obligations liées à la simple appartenance à l’Union européenne.

Tel est le cas du règlement dit « de Dublin », qui prévoit que, « pour des motifs humanitaires et de compassion », notamment de liens familiaux, « tout Etat membre puisse examiner une demande (…) même si cet examen ne lui incombe pas ». S’il arrive à la France de pratiquer cette solidarité, c’est rarement le cas du Royaume-Uni. « Du fait de l’externalisation des contrôles sur le sol français, note encore la CNCDH, la Grande-Bretagne n’est pratiquement jamais compétente pour examiner les demandes d’asile. » Pourquoi la France a-t-elle consenti à de telles dérogations ? S’agit-il, comme le suggère la Commission des droits de l’homme, d’une manifestation du « complexe français de Talleyrand », qui verrait un « certain utopisme français » conduire Paris à mener des politiques qui ne sont pas de son ressort, alors que seul le pragmatisme guiderait les Britanniques ?

Pour l’heure, alors même que la crise à Calais atteint un nouveau pic, Paris et Londres font mutuellement assaut de diplomatie. Tandis que David Cameron insiste sur la qualité de la coopération avec la France, Paris préfère s’en prendre à Eurotunnel plutôt que de questionner la politique bilatérale. Pas question d’envenimer les discussions sur les réformes de l’Union européenne que M. Cameron souhaite obtenir avant le référendum sur la sortie ou non de l’Union qu’il a promis d’ici à 2017. Tant pis si le poison lent de Calais continue de se distiller dans les deux pays.

Philippe Bernard (Londres, correspondant)

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