15. Februar 2016 · Kommentare deaktiviert für „L’Europe continue de bricoler face à l’arrivée de migrants“ · Kategorien: Europa

Quelle: Mediapart

Ce début d’année 2016 montre que les arrivées de migrants ne ralentissent pas, au contraire. Après des mois d’atermoiements, l’Union européenne continue pourtant de bricoler. Dernière nouvelle en date : des navires de l’OTAN vont intervenir en mer Égée.

L’Europe est parvenue à éviter la désintégration lors de la crise grecque. Va-t-elle imploser en raison de son incapacité à gérer l’afflux de migrants sur ses côtes et leur accueil en son sein ? Les chefs d’État et les hauts représentants bruxellois en sont convaincus : 2016 est l’année de tous les dangers pour l’Union européenne car, plutôt que de décroître, les arrivées se poursuivent à un rythme plus élevé que l’année dernière pourtant exceptionnelle. Et cela, sans perspective d’inversion : au moment où Alep se vide de ses habitants, à la suite des bombardements du régime de Bachar al-Assad appuyé par l’armée russe, et où les réfugiés se massent à la frontière avec la Turquie (lire notre reportage), rien ne laisse présager une amélioration de la situation en Syrie, tant les intérêts des puissances engagées dans le conflit semblent divergents.

Répartition des demandeurs d’asile, négociations avec la Turquie, renforcement des frontières intérieures et extérieures de l’UE, appel à l’OTAN : des propositions sont faites à l’échelon européen pour sortir de l’impasse. Mais, à l’heure actuelle, aucune n’apparaît en mesure de répondre à l’ampleur de l’exode, le plus massif qu’ait connu le vieux continent depuis la Seconde Guerre mondiale.

Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 76 000 personnes sont entrées dans l’Union européenne par la voie maritime depuis janvier, soit dix fois plus qu’un an auparavant au cours de la même période : 70 365 ont débarqué en Grèce et 5 898 en Italie, ce qui confirme le rôle central de la route turco-grecque au détriment du passage par la Libye. Au moins 428 migrants ont péri noyés en Méditerranée, parmi lesquels de nombreux enfants.

En 2015, plus d’un million de personnes ont emprunté ce chemin qui les a conduites au travers des Balkans avant de rejoindre l’Allemagne et la Suède principalement : ces deux pays sont ceux qui ont fait le plus pour empêcher un naufrage humanitaire. Mais, en l’absence de solidarité des autres États membres, leurs capacités d’accueil ont atteint leurs limites. Redoutant de devoir faire face à un afflux similaire, voire supérieur, en 2016, ils ont l’un comme l’autre rétabli des contrôles à leurs frontières et durci leur législation à l’égard des demandeurs d’asile. Déjà déstabilisée, l’UE risque de partir en lambeaux si elle échoue à trouver collectivement les solutions à ce défi inédit. Directeur au European Policy Centre, basé à Bruxelles, Yves Pascouau cite deux inconnues majeures susceptibles de bouleverser la donne en 2016 : la dégradation de la situation dans les pays voisins tels que le Liban, la Jordanie, et, un peu plus loin, la Libye et l’Algérie, ainsi que les élections partielles en mars en Allemagne.

Avant le conseil européen organisé les 18 et 19 février à Bruxelles, Mediapart a décidé de passer en revue les solutions mises en œuvre par les États membres afin de comprendre le fiasco des politiques menées jusqu’à présent.

L’échec du plan de « relocalisation »

L’échec le plus flagrant réside dans le plan de répartition des demandeurs d’asile proposé par la Commission européenne : seules 497 personnes – sur les 160 000 envisagées – ont été « relocalisées » en cinq mois dans différents pays de l’UE pour décharger les États en première ligne, selon les dernières estimations du commissaire européen à l’immigration Dimitris Avramopoulos. Cette initiative partait d’une bonne intention puisqu’elle visait à répartir de manière équitable les nouveaux arrivants. Comment s’explique un tel dysfonctionnement ? En grande partie par la mauvaise volonté des exécutifs nationaux. Pour justifier le non-respect de leurs engagements, certains États évoquent le manque de capacités d’hébergement, d’autres comme la France et la Belgique la nécessité de mieux identifier les personnes par crainte du terrorisme. D’autres comme la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque ferment leurs portes au motif que la plupart des réfugiés seraient musulmans. Quand elle a lieu, la relocalisation se pratique à la carte, regrette le ministre grec de la politique migratoire, Yannis Mouzalas, interrogé par l’AFP : « Ils ne veulent pas de Noirs, pas de familles nombreuses, ils nous demandent plus de sécurité. » Autre argument : les contrôles auxquels procéderait la Grèce seraient insuffisants. Ce qui n’est pas totalement faux, mais ne justifie pas de n’accueillir personne.

À cela s’ajoute le refus de certains demandeurs d’asile d’être envoyés là où ils n’auraient pas choisi de se rendre : la plupart d’entre eux préfèrent aller dans des pays où ils ont des proches et où ils savent pouvoir trouver un emploi. Malgré ce démarrage catastrophique, Yves Pascouau, également chercheur associé à l’institut Jacques-Delors, estime qu’une amélioration est envisageable, ses espoirs portant sur une réforme du règlement de Dublin. « Le principe qui veut que l’examen de la demande d’asile repose sur le premier pays d’entrée dans l’UE est caduc. Des critères de répartition entre les États membres doivent être trouvés durablement », affirme-t-il, à charge pour les pays moteurs (l’Italie, la Grèce et l’Allemagne) de convaincre les plus réticents, au premier rang desquels les pays d’Europe centrale.

L’alliance avec la Turquie, pays clef mais peu recommandable

Depuis que la Commission a pris acte de ces obstacles, elle cherche à empêcher les migrants d’arriver sur le sol européen à travers un partenariat avec la Turquie. C’est le grand axe de la diplomatie allemande. Angela Merkel s’est rendue en Turquie à deux reprises en quatre mois : elle y était le 18 octobre, juste avant les élections qui ont reconduit l’AKP au pouvoir, et elle y était à nouveau le 8 février. Isolée sur le plan intérieur, y compris dans son propre camp, la chancelière allemande est en effet pressée de trouver une solution avec la Turquie par où passe depuis l’année dernière l’essentiel des migrants qui rejoignent l’Union européenne. Après avoir ouvert les frontières de l’Allemagne, Angela Merkel cherche à endiguer le « flux » et à organiser le rapatriement des demandeurs d’asile qui n’auraient pas droit au statut de réfugiés.

Problème : la dérive autoritaire du gouvernement AKP et la guerre menée depuis cet été par les autorités contre la rébellion kurde font d’Ankara un allié peu recommandable. Les premiers jours de février ont été particulièrement meurtriers : plusieurs dizaines de membres du PKK ont été tués à Cirze (sud-est) au cours d’une opération des forces spéciales turques (dix « terroristes neutralisés » pour l’armée turque ; 75 morts civils d’après le parti pro-kurde HDP). La Commission européenne n’est-elle pas en train de se brûler les ailes en signant un accord avec la Turquie ?

Les révélations, en début de semaine, par un site d’information grec (et confirmées par Ankara ce jeudi), sur le contenu des échanges de novembre dernier entre le président de la Commission Jean-Claude Juncker, le président du Conseil de l’UE Donald Tusk et Recep Tayyip Erdogan montrent que le président turc a exercé un chantage dans l’élaboration du programme européen d’aide à la gestion des réfugiés. Non content des 3 milliards d’euros promis par la Commission, il a exigé le versement de 6 milliards d’euros en deux ans, faisant valoir que la Grèce avait touché « 400 milliards d’euros de l’Union européenne depuis le début de la crise financière » – alors qu’il s’agissait de prêts soumis à la mise en œuvre de réformes drastiques d’austérité. Mais surtout, il a menacé, si l’UE ne donnait pas plus, d’ouvrir complètement les frontières avec la Turquie et la Bulgarie voisines, en mettant les réfugiés « dans les bus »… Le climat de la discussion, très tendu, laisse songeur sur la façon dont le président turc négocie et tiendra ses engagements vis-à-vis de Bruxelles. Et Erdogan a réitéré les mêmes propos ce jeudi dans un discours à Ankara, indiquant que la Turquie perdait patience et qu’il n’était pas écrit « idiot » sur son front…

Pour Bayram Balci, chercheur à Sciences-Po Paris et spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient, l’attitude d’Erdogan est toutefois compréhensible. « Depuis cinq ans, la Turquie est aux premières loges de la guerre en Syrie. Cela lui coûte extrêmement cher, et pour le pouvoir, c’est la ruine sur toute la ligne. Erdogan est aujourd’hui complètement isolé sur le plan international, il est le seul à vouloir le départ d’Assad, l’Union européenne, et la France notamment, l’ont lâché depuis 2013 sur cette position. C’est la fin de la diplomatie turque ! » Pour cette raison, le chercheur pense qu’Ankara a tout intérêt à honorer ses engagements vis-à-vis des Européens. « Erdogan est tellement en difficulté qu’il ne voudra pas se mettre l’UE à dos. Il n’a pas d’autre choix que de coopérer. »

D’après Selim Yenel, l’ambassadeur turc auprès de l’Union européenne interrogé par le site EurActiv, la Turquie a dépensé 9 milliards d’euros pour les réfugiés depuis le début de la guerre en Syrie. De fait, le pays porte un fardeau qu’aucun pays européen n’est prêt à prendre en charge. 2,7 millions de réfugiés syriens résident actuellement en Turquie, sans que cela devienne source de conflit pour les locaux. Si la campagne législative de l’automne fut très problématique en raison des attentats d’Ankara et de la relance du conflit dans la région kurde, l’accueil des réfugiés, lui, n’a pas du tout fait l’objet de débat : d’autres pays qui étaient en campagne électorale, comme la Pologne qui n’accueille pour l’instant aucun réfugié dans le cadre du programme de relocalisation, ne peuvent en dire autant…

Certes, la Turquie négocie ferme. Elle attend en retour la levée des visas européens pour ses ressortissants, mais pas seulement. « Au fond, explique Didier Billion, spécialiste de la Turquie à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), la question du financement n’est pas le sujet principal. Ce que souhaite la Turquie, c’est la relance réelle du processus de pourparlers européens, gelé depuis quatre ou cinq ans. La Turquie a toujours le statut d’État candidat à l’UE, et je ne crois pas du tout qu’elle ait abandonné ce projet. Erdogan se comporte peut-être de façon très brutale dans la discussion, mais il y a une certaine logique à ce qu’il défende ses intérêts ! C’est le jeu, et le président turc est en position de force : il sait que les Européens ont besoin de lui. »

Les Européens ont pu en outre se montrer maladroits. Lorsque la haute représentante de l’UE aux affaires étrangères Frederica Mogherini déclare, comme elle l’a fait le 7 février : « La Turquie doit légalement, sinon moralement, ouvrir ses frontières avec la Syrie », elle ne peut que susciter l’indignation à Ankara. D’un côté fermer les frontières européennes, et de l’autre demander à un pays tiers d’ouvrir grand sa porte aux réfugiés ? Ce que montrent ces négociations avec la Turquie en réalité, c’est qu’il y a « une panique générale au niveau européen », selon Didier Billion. « Le défi des réfugiés a été totalement sous-estimé. On dit que l’Europe n’a pas d’argent. Mais ce n’est pas vrai. C’est une question de choix politique : il n’y a pas de volonté politique collective, c’est ça le problème. »

Même constat du côté de l’eurodéputé centriste Jean Arthuis, que Mediapart a joint tandis qu’il était précisément en Turquie pour étudier les dispositions du plan d’accueil pour les réfugiés. L’allié turc est-il fiable ? « Le couple UE-Turquie est dans une forme de solidarité contrainte. Chacun se tient par la barbichette. Les Européens payent aujourd’hui leurs interventions de manière désordonnée en Irak, en Libye, en Syrie… Ils ont leur part de responsabilité dans le conflit actuel. Au lieu d’afficher publiquement leurs désaccords, il serait temps qu’ils aient une politique de défense et une diplomatie communes. » Sur place, l’élu européen a visité un camp de réfugiés à Gaziantep, « extrêmement bien tenu », et rencontré des représentants du gouvernement turc qui lui ont semblé « très déterminés », avec « une claire vision de ce qu’il faut faire pour accueillir dans de bonnes conditions les réfugiés ».

Les grands axes de ce plan ? La scolarisation des enfants, l’aménagement de dispensaires de santé, la mise à disposition de logements (seuls 10 % des réfugiés en Turquie sont hébergés dans des camps), l’accès au marché du travail (même si, théoriquement, les réfugiés ont désormais le droit de travailler) et l’amélioration de la surveillance de la frontière avec l’UE. En revanche, la Turquie ne s’engage pas sur la réouverture côté Syrie où se pressent en ce moment 60 à 80 000 personnes – un chiffre qui pourrait se démultiplier rapidement si Alep, actuellement sous les feux de l’artillerie russe, retombait aux mains du régime. « Nous avons insisté sur le fait que le partenariat avec l’UE exigeait une transparence complète de la part de la Turquie », ajoute Jean Arthuis, qui a eu le sentiment que les Turcs voulaient « aller vite ». D’après l’ambassadeur turc cité plus haut, l’argent européen pourrait également être affecté à des cartes d’achat de nourriture destinées aux réfugiés.

Le renforcement des frontières extérieures de l’UE

Si l’Allemagne est en première ligne dans les négociations avec la Turquie, la France, elle, fait du renforcement des frontières extérieures de l’UE sa priorité. Début février, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve s’est rendu sur l’île de Lesbos, en Grèce, l’un des principaux points d’entrée des migrants dans l’UE – des centaines, voire des milliers d’entre eux y accostent chaque jour en provenance de la Turquie. De manière symbolique, il a visité, en compagnie de son homologue allemand Thomas de Maizière, le camp de Moria, qui fait office de centre d’enregistrement des personnes et qui constitue pour l’heure le seul hotspot opérationnel en Grèce. Pour marquer sa volonté, le ministre français a appelé l’agence européenne Frontex à accroître sa présence sur place. Cette demande – qui fait écho au projet de la Commission européenne de créer un corps européen de gardes-frontières (lire notre article) – n’est pas nouvelle. Mais elle s’affaisse régulièrement sur le manque de répondant des États membres quand ils sont sollicités par l’agence. Les équipements et les agents, dont les missions dépendent, tardent à venir. Sur les 775 gardes-frontières supplémentaires demandés aux États membres en octobre dernier, Frontex n’en a obtenu que la moitié. L’obstacle est aussi géographique, la caractéristique de cette frontière étant de s’étendre sur des centaines de kilomètres de côtes à cheval sur des dizaines d’îles éparpillées en mer Égée.

Mais la limite la plus décisive est juridique. Que feraient davantage de bateaux Frontex en mer Égée ? Contrairement à ce que laisse entendre le ministre, qui ne les convoque pas dans l’idée de créer un corridor humanitaire pour sauver des vies, ils ne seraient pas autorisés à renvoyer les personnes d’où elles viennent. Les renvois en mer sont interdits par le droit international, qui empêche catégoriquement les États de refouler des demandeurs d’asile vers un pays où ils estimeraient leur vie ou leur liberté menacées. Leur devoir, en tant que signataires de la Convention de Genève de 1951, est d’examiner individuellement les requêtes de l’ensemble des personnes se présentant à leurs frontières.

L’appel à l’OTAN pour une mission de « surveillance » en mer Égée

La récente trouvaille de Berlin et Ankara, de faire appel à l’OTAN pour « surveiller » la mer, paraît tout aussi cynique et contraire à ce principe de non-refoulement. Sauf à la concevoir dans une perspective de sauvetage… Ce qui ne sera vraisemblablement pas le cas. Ce jeudi, l’organisation atlantiste, qui a annoncé l’envoi de trois navires en mer Égée a précisé que sa mission n’était pas « d’arrêter ou de refouler des bateaux de réfugiés mais de fournir des informations et une surveillance essentielles pour aider à lutter contre le trafic humain et les réseaux criminels ». Problème : on voit mal l’articulation entre OTAN, Frontex, gardes-côtes turcs et grecs…

Pour Didier Billion, ce scénario est absurde. « On marche sur la tête. L’OTAN est un instrument né de la guerre froide ; c’est une alliance militaro-politique, ce n’est pas un instrument de gestion des frontières, ni une organisation humanitaire. Par ailleurs, même en déployant toute leur énergie, les Turcs ne peuvent contrôler toute cette frontière. Elle est de fait extrêmement poreuse, avec tous les îlots grecs qui font face aux côtes turques. » Un diplomate européen interrogé en début de semaine était également sceptique. « Pourquoi ce serait plus efficace de contrôler depuis la mer que sur la terre ferme ? Et comment s’assurer que l’on ne repart pas dans une opération type Mare Nostrum, désormais considérée par tout le monde comme quelque chose qu’il ne faut pas renouveler ? »

Le « tri » des migrants

La stratégie du « tri », pour laquelle la France a également été précurseur, pose au moins autant de questions, notamment juridiques. Le message est le suivant : l’UE ne peut accueillir tout le monde ; il faut que les personnes ne relevant pas de l’asile restent chez elles. Tout d’abord, il semble que cette solution produise peu d’effets, puisque les « flux » n’ont pas diminué depuis que les hotspots ont été lancés. De fait, ces centres où est censée s’opérer la « distinction » (les dirigeants préfèrent ce terme à celui de « tri » qu’ils trouvent trop connoté) entre demandeurs d’asile et migrants dits économiques ne fonctionnent pas encore à plein régime (l’ouverture des cinq hotspots grecs prévus en plus de celui de Lesbos est annoncée pour le 15 février). Mais comment le pourraient-ils ? Le droit – là encore – empêche les procédures à la va-vite. Différencier une personne fuyant la guerre et l’oppression d’une personne fuyant la misère suppose du temps et des moyens : les récits de chacun doivent être écoutés et analysés par des agents assermentés ; en cas de refus, des recours doivent pouvoir être introduits ; les migrants « économiques » disposent également de droits (regroupement familial, accès aux soins) exigeant d’être pris en compte. Comment organiser concrètement ces procédures sur les lieux d’arrivée des migrants sans porter atteinte à leurs droits ?

En Grèce, plusieurs maires, notamment dans les îles, ont déclaré être opposés à l’installation de centres de rétention où s’entasseraient des milliers de personnes dans l’attente d’une reconduite à la frontière. « Pour les États membres et leurs opinions publiques, il est indispensable qu’une politique de retour prenne forme, dans le respect du droit européen », estime toutefois Yves Pascouau, qui observe que des pays « généreux » comme la Suède et l’Allemagne ont affirmé leur intention de renvoyer les personnes en situation irrégulière. La question est de savoir où les expulser. De nombreux pays, comme le Pakistan, refusent les réadmissions. Une idée circule en ce moment à Bruxelles, soutenue par la présidence néerlandaise : elle consiste à considérer la Turquie comme un « pays tiers sûr », afin de pouvoir y renvoyer les migrants qui y auraient transité – autrement dit quasiment tous actuellement. Juridiquement contestable, cette proposition est en outre éthiquement problématique quand on sait que ce pays est déjà celui qui accueille le plus de réfugiés syriens dans le monde.

En attendant, un tri s’opère déjà, de facto, à la frontière entre la Grèce et la Macédoine. Ceux dont les autorités macédoniennes estiment qu’ils sont d’origine syrienne ou afghane peuvent passer, les autres non. Cette pratique se fait en dehors de tout cadre légal et profite aux mafias locales.

L’expulsion de la Grèce de l’espace Schengen

Autre « solution », qui n’en est pas une : faire sortir la Grèce de l’espace Schengen. C’est une idée qui court à Bruxelles depuis décembre. Mais c’est en réalité davantage un chiffon agité pour faire pression sur Athènes qu’une perspective réaliste. D’autant que dans les faits, Schengen a déjà éclaté : depuis septembre, plusieurs pays membres ont fermé des frontières internes à l’espace de libre circulation. De la même manière que les décideurs européens ont menacé les autorités grecques d’une sortie de la zone euro cet été afin qu’elles acceptent le programme d’austérité, il s’agit cette fois-ci de pousser la Grèce à accélérer le processus d’enregistrement des migrants sur les îles et à mieux surveiller sa frontière avec la Turquie.

Outre qu’une telle méthode pose question, elle est aujourd’hui déplacée. D’après nos informations, le hotspot à Lesbos est désormais tout à fait opérationnel. Les migrants sont enregistrés en une vingtaine de minutes, des entretiens serrés sont menés par des spécialistes arabophones de Frontex afin d’identifier l’origine des migrants, et il n’y a pratiquement pas de file d’attente – contrairement à la situation en octobre et novembre, lorsque les autorités grecques se sont retrouvées complètement submergées devant l’afflux de migrants. Les représentants de Frontex eux-mêmes estiment que la Grèce n’est pas en cause. Ainsi, début février, dans une présentation au Parlement belge, Fabrice Leggeri, le directeur de Frontex, déclarait : « Aucun État membre de l’Union n’aurait pu faire face tout seul à une multiplication par 18 du nombre d’arrivées de clandestins sur son territoire. »

Problème : la Commission européenne, qui a dévoilé cette semaine un rapport sur la gestion par la Grèce de l’afflux des réfugiés et fait parvenir une cinquantaine de recommandations, s’appuie sur une mission secrète d’évaluation menée… en novembre. Athènes a trois mois pour y répondre, à l’issue de quoi Bruxelles peut décider, si les recommandations ne sont pas suivies, d’activer l’article 26 du code Schengen qui permet le rétablissement, pour deux ans, des contrôles intérieurs aux frontières. Pour la Grèce, qui n’a pas de frontière terrestre commune avec d’autres pays de Schengen, cela signifierait le rétablissement des contrôles aéroportuaires (aéroports et ports de départ vers l’Italie). Mais surtout, cela signifie que d’autres États membres, qui ont actuellement rétabli des contrôles intérieurs comme l’Allemagne ou l’Autriche, pourront prolonger cet état d’exception qui, en principe, ne pouvait pas excéder quelques mois.

Aménager une zone en Syrie de non-survol aérien

Dans cet ensemble de bricolages européens, il est une proposition dont on ne parle plus : la création d’une zone sécurisée en Syrie, de non-survol aérien, afin d’enrayer, en amont, les mouvements migratoires. C’est la position turque depuis depuis 2013. Mais Ankara est aujourd’hui complètement isolée sur le plan diplomatique et aucun pays n’appuie ce scénario. Le tournant du conflit avec l’intervention russe depuis octobre, l’opposition frontale entre Moscou et Ankara, et l’aggravation actuelle avec le pilonnage d’Alep, rendent en outre la création d’une zone pacifiée très improbable.

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