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La France réorganise son dispositif militaire au Sahel autour de quatre bases
Gao, Niamey, N’Djaména et Ouagadougou : face aux terroristes, l’armée française adopte une approche régionale.
C’est un immense terrain d’opérations, aussi vaste que l’Europe, mais presque entièrement désertique. Les «groupes armés terroristes» (GAT, selon l’acronyme militaire) qui le parcourent ne connaissent pas les frontières internationales, tracées au cordeau par les anciennes administrations coloniales, au milieu de… rien. Comme ses ennemis, l’armée française, qui est au premier rang dans la guerre contre les djihadistes au Sahel, a décidé de s’abstraire de ces frontières. Dans ce but, le ministère de la Défense réorganise en profondeur son dispositif militaire en Afrique. Cette «régionalisation de la bande sahélienne» est en cours de mise en oeuvre : pas d’annonces mirobolantes mais un travail d’ajustement discret dont voici les grandes lignes.
Tout part d’une analyse de la menace : après avoir défait – mais non entièrement supprimé – les GAT dans le nord du Mali au premier semestre 2013, l’armée française et les services de renseignement ont, sans surprise, constaté que ceux-ci s’étaient, pour une part, dispersés dans les Etats voisins. Notamment dans le sud-ouest de la Libye, où s’est constitué un véritable « trou noir sécuritaire» au Fezzan, autour du triangle Oubari-Sebha-Mourzouk. C’est depuis cette base arrière que les djihadistes reviennent vers le Nord Mali – dix-neuf d’entre eux ont été tués au cours d’une opération spéciale en décembre – et le Niger, où une action terroriste importante a récemment été déjouée. Les GAT empruntent un axe de plus de mille kilomètres qui, après la passe de Salvador, suit la frontière entre le Niger et l’Algérie. Les pistes empruntées passent aussi bien sur le territoire algérien que nigérien. La stratégie de la France consiste à couper les djihadistes de leur base arrière en Libye, où il est impossible d’intervenir de manière ouverte.
Pour les militaires français, trois Etats de la région forment désormais un unique théâtre : le Mali, le Niger et le Tchad. Leurs trois gouvernements sont impliqués dans la lutte antiterroriste et coopèrent avec la France.
Dans la région, la France disposera de quatre bases principales : N’Djaména (Tchad), Niamey (Niger), Gao (Mali) et Ouagadougou (Burkina Faso). A N’Djaména : des avions de combat Rafale et Mirage 2000, appuyés par des ravitailleurs, et des forces terrestres – ainsi que l’état-major qui commandera les opérations au Sahel. A Niamey, des moyens de renseignement, notamment les deux nouveaux drones Reaper achetés aux Etats-Unis et qui seront opérationnels dans les prochains jours. Ces appareils de surveillance pilotés depuis le sol sont colocalisés à Niamey avec ceux de l’US Air Force. Cette base peut également accueillir des avions de combat et de patrouille maritime Atlantique 2, qui servent aussi bien au dessus du désert que de l’océan. A Gao, des forces terrestres, avec un détachement important d’hélicoptères. Enfin, plus discrètement, à Ouagadougou, le groupement des forces spéciales Sabre qui opère dans toute la zone à partir de cette base arrière. A ces quatre bases principales, l’armée française va ajouter des points d’appui, situés plus au nord, c’est-à-dire au plus près des éventuelles zones d’interception des groupes terroristes. Deux d’entre eux ont été choisis : Tessalit, à l’extrême nord du Mali, et Faya-Largeau, dans le nord du Tchad. Un autre est toujours recherché dans le nord-est du Niger, sachant que les forces spéciales sont déjà présentes dans la zone minière d’Arlit (nord-ouest). Ces points d’appui doivent posséder une piste d’aviation, même sommaire, permettant de déposer des véhicules légers ou de mettre en œuvre des hélicoptères. Sans parler du recueil du renseignement, humain ou électronique… Au total, ce dispositif dans la bande sahélienne mobilisera 3000 militaires français de manière permanente, avec des moyens aériens de près de trente aéronefs (avions de combat, de transport, hélicoptères, drones, etc).
L’ensemble de ce nouveau dispositif, qui n’a pas reçu de nom de baptême générique, sera appuyé par trois bases arrières en Afrique : Dakar (Sénégal), Abidjan (Côte d’Ivoire) et Libreville (Gabon). Pour compenser la montée en puissance dans la zone sahélienne, les effectifs de Dakar et Libreville, ainsi que ceux de Djibouti, seront revus à la baisse. L’abandon d’Abidjan, un temps envisagé, n’est plus d’actualité, bien au contraire. Son rôle logistique est même considéré comme prioritaire en direction du Sahel. Djibouti, tourné vers un autre théâtre d’opération – notamment la Somalie – verra ses effectifs continuer à décroître. Les relations entre la France et le gouvernement djiboutien ne sont plus ce qu’elles étaient… Un régiment, la 13ème DBLE, a déjà quitté le pays pour s’installer aux Emirats arabes unis.
Au total, ce sont environ 6000 militaires français qui resteront présents en Afrique, de manière permanente, dont la moitié au Sahel. C’est beaucoup. Plus en tout cas qu’aucun autre pays occidental. L’idée de se retirer du continent, caressée lors de la rédaction du précédent Livre blanc de la défense (2008), a fait long feu. La France reste, plus que jamais, une puissance militaire africaine permanente, bien au-delà des opérations décidées par François Hollande, Serval au Mali et Sangaris en Centrafrique.
Les Etats-Unis soutiennent globalement ce choix. Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian doit se rendre à Washington fin janvier pour y expliquer le nouveau dispositif au Sahel, mais Washington fournit déjà un soutien militaire et de renseignement aux Français. Les Etats-Unis souhaitent se désengager là où ils le peuvent et voient donc d’un œil relativement favorable les Français prendre en charge la lutte antiterroriste au Sahel. Même attitude de la part des pays européens, ravis de voir Paris faire le travail dans ses anciennes colonies, même s’ils sont prêts à donner, parfois, un petit coup de main.
Si tout se fait évidemment avec l’accord des Etats concernés – la France devrait ainsi signer un accord de défense avec le Mali dans les prochaines semaines – reste un problème sérieux : celui de l’Algérie. Jean-Yves Le Drian n’a pas encore pu expliquer en détail à ses interlocuteurs algériens, par exemple le Premier ministre Abdelmalek Sellal, ce que la France faisait dans ce qu’Alger considère volontiers comme son arrière-cour. Voir 3000 militaires français déployés en permanence au sud de l’Algérie pourrait ne pas amuser tout le monde en Algérie, où les relations avec l’ancienne puissance coloniale restent passionnelles. Sur le papier, Alger et Paris combattent les mêmes groupes djihadistes, mais la réalité du terrain et les susceptibilités des uns et des autres ne vont pas jusqu’à une coopération étroite et confiante. L’Algérie pourrait donc rester le point aveugle de cette «régionalisation de la bande sahélienne», mise en place par la France.