02. Februar 2013 · Kommentare deaktiviert für Grenzübergang Debdeb, Libyen-Algerien: Friedhofsruhe – Reportage · Kategorien: Algerien, Libyen · Tags:

Le poste-frontière avec la Libye en état d’alerte

Debdeb, entre menace terroriste et contrebande
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le 02.02.13 | 10h00

Vous ne pouvez pas passer. Nous avons reçu des ordres. On ne peut rien vous dire. Faites demi-tour !», tonne un des policiers en faction au poste-frontière de Debdeb en nous sommant de rebrousser chemin. Pas âme qui vive au niveau du poste de contrôle. Pas la moindre voiture qui pointe. Par temps de paix, les véhicules de voyageurs ou de marchandises à destination ou en provenance de Ghadamès se comptaient par centaines, voire par milliers journellement.

Un couperet semble s’être soudain abattu sur le tracé frontalier et a scindé la région en deux blocs hermétiquement séparés. Outre les barrières de béton filtrant l’accès au bâtiment de la PAF, une rangée de pierres coupe la route menant vers le poste-frontière. Un peu plus bas, des gendarmes sur le pied de guerre occupent une auberge de jeunes. Ils interceptent rapidement notre véhicule et se tiennent prêts à fondre sur nous au moindre mouvement suspect. Après avoir scruté nos papiers, ils nous orientent vers les «autorités compétentes» en s’abstenant de la moindre déclaration. C’est une lapalissade de dire que tous les corps de sécurité de la région sont en état d’alerte maximum après l’attaque de Tiguentourine.

La guerre en Libye, rappelle-t-on, avait amené les autorités algériennes à fermer temporairement les voies d’accès vers notre pays. Seuls les réfugiés libyens étaient autorisés à passer, pour raison humanitaire. De leur côté, les autorités libyennes ont décidé de fermer, le 16 décembre 2012, leurs frontières avec l’Algérie, le Niger, le Tchad et le Soudan, pour raison de sécurité, et ont décrété tout le Sud libyen zone militaire. Cela a donné un coup de frein supplémentaire à la circulation des biens et des personnes sur l’axe Debdeb-Ghadamès. Et ce ne sont pas les derniers événements qui vont arranger les choses. Le fait qu’une bonne partie de l’armement des «Signataires par le sang», auteurs de l’attaque terroriste, provienne de Libye, a accru considérablement la méfiance vis-à-vis de nos voisins du Fezzan.

Au café El Houdoud
Le poste-frontière de Debdeb est situé à quelque 3 km à la sortie est de la localité de même nom. Cette petite commune d’environ 4300 habitants (RGPH 2008) relève de la daïra d’In Amenas, dont elle est distante de 220 km. Nous sommes à quelque 460 km au nord d’Illizi et 1500 km au sud-est d’Alger. La route In Amenas-Debdeb est quasiment déserte. Un imposant déploiement des forces de l’ANP est visible à hauteur de Timeroualine. C’est ici qu’avait été enlevé, le 16 janvier 2012, le wali d’Illizi, Mohamed-Laïd Khelfi, avec son directeur du protocole et le président de l’APW d’Illizi. Le wali sera conduit vers la Libye avant d’être libéré 24 heures plus tard par les autorités libyennes.
«L’activité au niveau du poste-frontière est au point mort», confie une source douanière. Le chef-lieu de la commune baigne dans une torpeur froide. Il fait frisquet en cet hiver ensablé. La ville saharienne est peu animée. Et pour cause : la fermeture des frontières a provoqué une rupture brutale du trafic entre Debdeb et la ville libyenne de Ghadamès, distante d’une dizaine de kilomètres.

Halte au café El Houdoud (les frontières). Des policiers, des douaniers ainsi que des jeunes désœuvrés forment un curieux melting-pot dans ce boui-boui qui porte bien son nom. Des chômeurs nous font part de leur désarroi : «Ce qui nous manque en premier lieu, c’est le travail. Il est bien difficile pour nous d’avoir un poste dans les entreprises d’In Amenas», déplore l’un d’eux. Aussi, la frontière et ses gisements de marchandises illicites sont devenus pour nombre d’entre eux le premier «employeur» de la région. Mais avec le verrouillage ambiant, les trabendistes du coin ne savent plus à quel saint se vouer. Même le marabout de Bordj Omar Driss, abrité par la zaouïa de Sidi Moussa, est sous haute surveillance et ne peut rien pour eux. D’aucuns redoutent qu’avec les nouvelles mesures prises pour mieux sécuriser les sites pétroliers et gaziers du Sahara, les chômeurs du Sud ne soient les premiers à en faire les frais en termes d’accès au marché du travail. Une bonne partie de la population subsistait grâce aux flux de denrées «troquées» avec les Libyens. Les habitants de Debdeb avaient, en effet, pris coutume d’aller faire leurs emplettes à Ghadamès. Et inversement. Cette tradition atavique n’a plus cours aujourd’hui.
Termzi Diya, un berger targui, le regrette un peu, même s’il dit «comprendre la situation». Termzi Diya aune quarantaine de chèvres qu’il garde dans un enclos à bestiaux, à la lisière du bourg. Des dizaines d’enclos de fortune comme le sien enserrent Debdeb.

«La contrebande n’a pas baissé»
De loin, ils font penser à des bidonvilles. Diya se plaint surtout de la cherté de la vie à Debdeb. «Nous payons la boîte de lait à 300 DA, la pomme de terre à 80 DA, la viande d’agneau à 1400 DA le kilo», détaille-t-il. «Avant, on allait faire nos courses à Ghadamès. Cela nous permettait de faire des économies. Là-bas, les légumes sont moins chers, de même que le carburant. Le quintal de farine est à 3000 DA en Libye tandis qu’ici, il est à 5000 DA.» Diya ajoute que «les Libyens aussi venaient faire leur marché ici. Ils achetaient surtout du lait, de la degla et du thé vert». Notre berger a l’habitude de sillonner la région avec son cheptel en longeant la frontière. «Je croise souvent des militaires quand je fais paître mes chèvres. Ils sont très vigilants. Cela nous rassure. Nous avons été très affectés par ce qui s’est passé à In Amenas, mais quand je vois tous ces soldats, je suis tranquille», dit-il. Diya espère que le poste-frontière rouvrira le plus vite possible, au moins pour les habitants de Debdeb. «Le travail manque cruellement ici. Il faut offrir de l’emploi aux jeunes pour les occuper, sinon, ils vont verser dans la contrebande» plaide-t-il.

L’antenne locale des services des douanes, sollicitée par nos soins, s’est refusée à toute communication sur le volume des marchandises saisies dans la traque des contrebandiers. Néanmoins, des sources douanières nous ont affirmé que le renforcement de la sécurité aux frontières n’a pas enrayé la contrebande, loin s’en faut. «L’activité commerciale légale a sensiblement baissé, mais pas la contrebande», indiquent-elles. «Je vous donne une règle douanière : quand vous faites une prise par exemple de 10 tonnes de drogue – c’est juste un exemple –, sachez que 90 tonnes ont réussi à franchir la frontière. Quelle que soit la prise, la quantité qui passe est toujours supérieure», explique un cadre douanier. Et de souligner : «Tout le monde pratique la contrebande. ‘’M’khalta’’. Certains peuvent même venir d’Oran pour faire passer leur marchandise.» Pour ce qui est de la sécurisation des frontières, nos sources sont formelles : «Côté sécurité, l’armée fait parfaitement son travail. Au niveau du poste-frontière, il y a la PAF, il y a les GGF, et il y’a l’armée qui veille au grain. Après les derniers événements en Tunisie et en Libye, l’armée a installé une petite base pas loin du poste-frontière.» Un douanier estime toutefois que «les trois postes déployés le long de la frontière libyenne, à savoir ceux de Debdeb, Tarat et Tinalkoum, ne suffisent pas pour couvrir une frontière de 985 km».

«Les boissons alcoolisées très prisées en Libye»
Pour ce qui est des produits les plus convoités par les trafiquants transfrontaliers, nos interlocuteurs assurent : «Il y a de tout : produits alimentaires, cheptel, vêtements, kif, armes…» Nos sources citent, en outre, les boissons alcoolisées. «En Libye, ils n’ont pas de boissons alcoolisées, ils s’approvisionnent ici, surtout la bière.» Outre la menace terroriste, les douaniers sont confrontés à un autre risque : «Les contrebandiers sont souvent armés. Un contrebandier peut tirer sur toi sans problème», glisse un agent qui a l’habitude de participer aux brigades mobiles des douanes.
Concernant le cheptel, on apprend que «c’est surtout durant l’Aïd que le cheptel traverse les frontières. Mais ce n’est pas spécifique à la région. Il sort de tous les côtés». Quid du trafic de cigarettes ? «Ce n’est pas leur route, ici. Les cigarettes proviennent surtout de Mauritanie», précisent nos sources. 

Un ressortissant syro-libyen à Debdeb : Mohamed Othmane, l’éternel réfugié

Etrange destin que celui de Mohamed, la cinquantaine, ingénieur agronome converti en cuistot. Depuis un peu plus d’une année, Mohamed a débarqué à Debdeb avec sa femme Aïcha et leurs trois enfants, fuyant l’enfer de Ghadamès. Sa voiture, une Hyundaï Accent, porte encore le matricule de l’ex- Jamahiriya. Mais Mohamed n’est pas Libyen. «Mon épouse, en revanche, est Libyenne», dit-il.

Tous deux sont pro-El Gueddafi, ce qui leur a valu une véritable chasse aux sorcières après la chute du guide libyen. «Les rebelles ont brûlé ma maison, ma voiture. Ils m’ont suspendu par les pieds pendant quatre heures et m’ont fait subir toutes sortes de supplices. Même mes enfants n’ont pas été épargnés. Nous avons dû fuir le pays en laissant tout derrière nous», témoigne-t-il. Mohamed parle dans un fort accent syrien truffé de dialecte libyen.

C’est que notre réfugié est «une multinationale arabe» à lui tout seul. Son ADN est un concentré de tout ce que compte le monde arabe de cultures et de tribus, comme en témoigne, du reste, son nom complet : Mohamed Othmane Ibrahim Hassan Agha. Chacun des noms composant son patronyme trahit un pan de sa généalogie enchevêtrée.

«Je suis né en Egypte, j’ai grandi entre Beyrouth et Alep, et à 23 ans, je suis venu m’installer en Libye», raconte-t-il, avant d’ajouer : « Ma mère est Libanaise et, du côté paternel, je suis de descendance turque. Mes aïeux ont longtemps vécu en Egypte. Et quand Gamal Abdel Nasser est arrivé au pouvoir, il a chassé ma famille.»

«J’ai tous les papiers qui attestent de ma lignée», insiste Mohamed en nous tendant un document établi à Debdeb, une déclaration sur l’honneur attestant de son lieu d’hébergement. On y lit effectivement qu’il est né dans le gouvernorat d’Acharkiya, en Egypte (en 1964). Mohamed assure qu’il a vécu dans sa chair la guerre civile libanaise.

«La situation était très difficile, alors, pour fuir la guerre, j’ai quitté le Liban avec mon oncle. Lui, il est venu s’installer en Algérie, et moi, j’ai trouvé refuge en Libye. J’ai vécu un peu partout, à Benghazi, à Tripoli… Je travaillais comme cuisinier dans diverses entreprises. J’ai même travaillé dans une filiale de Sonatrach en Libye.

Après, je me suis installé à Ghadamès et j’ai ouvert un restaurant.» Au vu de son lignage impressionnant, Mohamed aime à se présenter simplement comme «citoyen arabe», comme pour concilier les multiples gènes qui se disputent son identité. «Ana ârabi, mouslim, bass», martèle-t-il. Il préfère également la formule «Bilad Al Cham» pour situer son pays.

Tout le Proche-Orient est devenu, pour ainsi dire, sa patrie. Un territoire qui lui paraît aujourd’hui exigu. «Je suis un citoyen du monde. Où que l’on veuille bien m’accueillir, là est mon pays.» Mohamed ne cache pas sa sympathie pour El Gueddafi. «D’ailleurs, ma femme est née en 1969, l’année de la révolution d’El Gueddafi», renchérit-il. Mohamed déplore la manière dont la révolution libyenne a été menée.

«Je n’appellerais pas cela une révolution. C’est une invasion du ‘Nato’ (OTAN, ndlr). C’est une guerre coloniale. Nous avons été profondément humiliés.» «Tout être humain commet des erreurs et El Gueddafi a eu son lot d’erreurs. Nous sommes des frères et il aurait fallu régler nos problèmes entre nous au lieu de faire appel à une intervention étrangère.»

Depuis son arrivée à Debdeb, Mohamed est au chômage. Une âme charitable a mis à sa disposition «gracieusement» une maison en construction dans le quartier dit «105». «Je vis grâce à mes économies et grâce aussi à la famille de ma femme qui lui envoie un peu d’argent», confie Mohamed.

Notre réfugié «panarabe» ne souhaite pas trop épiloguer sur la situation en Libye et en Syrie. «Je ne regarde pas les informations, ça me fait mal au cœur», lâche-t-il. Et de lancer : «Ana malich f’essiyassa. Je ne fais pas de politique et je ne soutiens aucun parti.» Aujourd’hui, Mohamed n’a qu’un souhait : «Je suis décidé à retourner à Ghadamès l’été prochain. J’espère de tout cœur une réconciliation entre tous les Libyens et qu’on tourne la page.»

Mustapha Benfodil

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