27. Dezember 2013 · Kommentare deaktiviert für Tunesien, Ennahda Interview: Skandinavien als Vorbild · Kategorien: Tunesien · Tags:

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Ghannouchi : « Le modèle pour la Tunisie ? Les pays scandinaves »

Gérard Haddad | Psychiatre Psychanlyste

« Le meilleur exemple de sociétés alliant démocratie et justice sociale, ce sont les pays scandinaves, et nous comptons nous en inspirer. » Cette déclaration surprenante de Rached Ghannouchi n’a pas été recueillie par un journaliste, mais par un psychiatre et psychanalyste juif, d’origine tunisienne qui s’est entretenu en toute liberté de penser avec le président d’Ennhada, le parti islamiste au pouvoir en Tunisie. B.G.

Gérard Haddad. Commençons par la question principale : où en est aujourd’hui la Tunisie ?

Rached Ghannouchi. Le dialogue national est en train de réussir. L’horizon se dégage progressivement sur tous les points essentiels, ce qui permet d’envisager la finalisation de la constitution et la tenue prochaine d’élections. Il n’y a plus de points de friction idéologiques. Nous avons listé tous nos points de divergence avec l’opposition, et nous les avons réglé un par un.

On considère souvent que tout changement politique repose sur une mutation idéologique, voire théologique. Quelle serait, selon vous, cette mutation qui se serait produite en Tunisie ?

C’est la prise de conscience qu’il n’y a rien d’antagonique entre l’islam et la démocratie, qu’islam et démocratie vont de pair.

Nous voulons faire de la Tunisie un modèle de démocratie musulmane. Notre parti veut être comparé aux partis chrétiens-démocrates qui existent en Europe.

Y a-t-il un modèle de pays démocratiques dont vous pensez que la Tunisie pourrait s’inspirer ?

Pour moi, la meilleure référence, le meilleur exemple de sociétés alliant démocratie et justice sociale, ce sont les pays scandinaves, et nous comptons nous en inspirer.

Je ne m’attendais pas à cette réponse. En effet, Ennahda est considéré comme une émanation des Frères musulmans. Or, dans l’idéologie de ce mouvement, l’accent est mis sur la notion d’Oumma, de communauté des musulmans.

Considérez-vous que votre action est désormais tournée vers cette Oumma, ou bien vers le développement de la Tunisie ?

Non, nous sommes tunisiens, et notre seule préoccupation est le développement de notre pays, la Tunisie.

Vous avez lancé l’expression « al-tadafu al-ijtimaï », le conflit social. Reprenez-vous par là le concept marxiste de « lutte des classes » ?

Nullement. Je voulais pointer par cette expression que la société tunisienne n’est pas homogène, lisse, qu’il y a en elle des forces antagoniques qu’on voudrait nier. Je voulais pointer ce fait occulté du discours politique et proposer que ces conflits trouvent leur solution dans le dialogue.

Vous dites que vous êtes proche d’un accord global pour la nouvelle constitution. Pourtant, certains membres de votre parti continuent de réclamer l’application de la charia…

Nous sommes un parti démocratique et comme tout parti démocratique, il comporte différents courants. Mais en dernier ressort, ce sont nos instances dirigeantes qui statuent à la majorité. Toute autre position que celle de nos instances doit être considérée comme opinion personnelle.

Il est vrai que certains jeunes, emportés par leur ferveur religieuse, ont demandé l’instauration de la charia. Mais la majorité du parti ne les a pas suivis. Cependant, tout cela est désormais derrière nous.

Vous arrive-t-il d’être mis en minorité au sein de votre parti ?

Plus souvent qu’on ne le pense. Il y a le cas récent public où j’ai demandé la restauration du règlement intérieur, que l’on appelle « petite constitution », et je n’ai pas été suivi. Ce qui montre bien que nous sommes un parti démocratique.

Quelqu’un, qui avait le même nom que moi, Tahar Haddad, déclarait justement que la Tunisie ne deviendrait prospère et moderne que si elle accordait l’égalité des droits aux femmes, ce que Bourguiba a concrétisé. On a parfois l’impression que vous voulez revenir sur ces droits…

Absolument pas. Dès 1988, dans un interview au journal Al Sabah j’affirmais cette égalité des droits.

Pourtant, vous avez proposé que dans la constitution on parle de la femme comme « complémentaire ».

Nous avons été mal compris. Nous voulions souligner que femmes et hommes sont complémentaires l’un de l’autre. Devant cette incompréhension, nous avons retiré cette proposition. Tout cela est derrière nous. Aucune modification ne sera apportée au code du statut personnel de 1957.

Mon maître Leibowitz, un juif très pieux, grand défenseur des droits du peuple palestinien, disait qu’au nom de sa foi, il était pour la laïcité, qui n’a rien à voir avec l’athéisme.

La laïcité consiste à séparer le religieux et le politique. En effet, la foi est une valeur sublime tandis que la politique implique des marchandages et des compromis qui portent leur l’ombre à la relation du croyant à Dieu.

Et si la Tunisie devenait le premier pays arabe laïc ?

Nous avons accepté le premier article de l’ancienne constitution, affirmant que la Tunisie est un pays dont la religion est l’Islam, et la langue l’arabe. Nous ne pouvons pas aller au-delà.

On a l’impression que le champ politique tunisien est partagé entre deux plaques tectoniques qui entrent en collision, le « bourguibisme » et l’islamisme…

Non, la chose est plus compliquée. Vous oubliez qu’au temps de Bourguiba il y avait déjà les yousséfistes, la gauche du groupe Perspectives, les nationalistes nassériens, les syndicalistes de Habib Achour…

On a quand même l’impression que vous cherchez à entamer, pas à pas, l’héritage de Bourguiba.

Ce n’est pas vrai. Nous avons gardé le préambule de la Constitution qu’il avait fait rédiger. Nous reconnaissons intégralement son code du statut personnel …

Mais vous avez proposé récemment qu’on revienne sur l’abolition des biens habous qui appartenaient aux institutions religieuses.

Là aussi, on me fait un mauvais procès. J’ai proposé de reprendre ce qui se fait dans les pays anglo-saxons sous le titre de fondations : Ford, Rockfeller, Bill Gates… Ces fondations jouent un rôle considérable aussi bien dans le développement des sciences que dans la philanthropie.

Pourquoi ne pas nous en inspirer ? Nous avons une tradition musulmane de ces fondations que l’on appelle habous. Par exemple l’hôpital Aziza Othmana de la Kasba était un bien habous. Si, moyennant déduction fiscale comme vous le faites en France pour l’ISF, quelqu’un crée une fondation à but philanthropique ou religieux, quel mal y aurait-il ?

Je me suis contenté de reprendre le terme traditionnel de habous pour lancer l’idée de créer des fondations.

Mais Bourguiba les avait supprimés, ces habous !

Notre grande différence avec Bourguiba, c’est que lui était centralisateur, jacobin. Il voulait tout contrôler, l’association des femmes, les syndicats… Nous, nous sommes pour une société plus libérale, laissant une grande place aux initiatives de la société civile, sous forme d’associations, de fondations indépendantes du pouvoir central.

Quelle est la place, en Tunisie, des juifs tunisiens ?

Je vais d’abord vous raconter un souvenir d’enfance. Je suis né dans la petite ville d’El Hama, dans le sud du pays. Là se trouve la tombe d’un saint juif, R. Yossef El Maarabi, que nous même musulmans, appelons Saïd, le saint. Il y avait chaque année un pèlerinage sur sa tombe.

Nous, enfants, nous attendions avec impatience ce pèlerinage parce que les femmes juives venaient avec des quantités de bonbons et des gâteaux qu’elles nous distribuaient.

Pendant toute la période troublée qu’a traversé la Tunisie, aucun juif n’a été touché, ni dans ses biens ni dans son corps, alors qu’il y a eu des dizaines de musulmans tués. J’ai aussi récemment reçu le Grand Rabbin de Tunisie, le Rabbin Bittan, et nous nous sommes, je crois, appréciés.

Mais l’essentiel du judaïsme tunisien a disparu. Croyez-vous possible de voir une communauté juive se reconstruire en Tunisie ?

Quand la Tunisie aura retrouvé sa stabilité et sa croissance économique, elle attirera les investisseurs et parmi eux, il y aura des juifs.

Parlons de la tragédie du peuple palestinien. Je fais partie de ces juifs qui condamnent la politique israélienne. Néanmoins, la proposition de mettre dans la constitution tunisienne un article interdisant tout contact avec l’Etat d’Israël m’a surpris.

Imaginons que demain Israéliens et Palestiniens arrivent à un accord de paix, pourquoi la Tunisie n’établirait pas des contacts avec ce pays ?

Cette proposition d’article, comme beaucoup d’autres, a été retirée du projet de constitution. C’est du passé. Il est clair que nous ne serons pas plus royalistes que le roi et qu’en cas d’accord de paix entre Palestiniens et Israéliens, nous agirons comme les autres pays arabes.

Ceci dit, je ne crois pas beaucoup à la solution à deux Etats. Les territoires occupés en 1967, par suite de la colonisation intensive et incessante, ne permettent pas la création d’un Etat viable. Je suis pour un seul Etat dont tous les citoyens auront les mêmes droits et les mêmes devoirs. Cela peut prendre la forme d’une fédération ou d’une confédération.

Certains sites Internet prétendent que les Etats-Unis construiraient une grande base dans le sud de la Tunisie…

C’est du pur mensonge. Croyez-vous qu’aujourd’hui il soit possible de construire une base secrète qui échapperait aux satellites et à tous les moyens d’information ?

Que pensez-vous de la publication du « Livre noir des journalistes » ?

Il s’agit d’une initiative de la présidence de la République que nous n’approuvons pas. Nous sommes pour la création d’une grande commission Vérité et réconciliation à la manière de ce qui s’est fait en Afrique du Sud. On ouvrirait les archives et on apurerait le passé afin de tourner cette page. Ceci selon les normes juridiques admises.

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