25. Dezember 2013 · Kommentare deaktiviert für Flüchtlinge in der algerischen Sahara – Reportage · Kategorien: Algerien, Sahara

Au Sahara, une journée ordinaire avec des migrants

Le sud algérien est devenu une zone de transit pour des milliers de migrants forcés à l’exil (Aid...

Le sud algérien est devenu une zone de transit pour des milliers de migrants forcés à l’exil (Aidan Lewis/AP)

Jean-François Debargue, secrétaire général de Caritas Algérie, a adressé ce texte à « La Croix » après avoir rencontré des migrants nigériens vivant dans une grande précarité à Ghardaïa, en Algérie.

Ils sont une petite centaine. Essentiellement des femmes, fluettes, maigres, accompagnées d’enfants à peine adolescents pour les plus âgés. Par petits groupes de trois enfants ou d’une femme accompagnée de deux enfants, ils mendient toute la journée dans Ghardaïa, à 600 kilomètres au sud d’Alger. On en signale d’autres dans plusieurs villes d’Algérie.

Leur provenance : le Niger, dernier pays au monde au classement de l’indice de développement humain, pays pourtant fournisseur d’uranium, d’or, de pétrole et de fer – à qui profite le développement ? Fin octobre, 92 de ces migrants, dont la moitié étaient des enfants, sont morts de soif dans le désert au cours d’un voyage tragique vers l’Algérie qui avait débuté fin septembre.

À Ghardaïa, la petite centaine de femmes et de jeunes enfants, accompagnés de moins d’une dizaine d’hommes, vient de la région de Zinder, dans le centre-est du Niger. Habituellement, les migrations de cette région essentiellement agricole étaient saisonnières et, en cas de difficultés, plutôt tournées vers la Libye. Mais la sécheresse et les conflits depuis 2011 ainsi que la révolution libyenne les ont poussés vers l’Algérie et Ghardaïa.

Comme une caravane

Après avoir posé leurs haillons le long du mur de la gare routière et dans l’oued, ils se voient déplacés plus discrètement dans un terrain vague, près de la poste. Après la prière du soir, nous sommes allés les rencontrer. En sortant de l’oued nous avons vu leurs quatre ou cinq feux. Les pauvres baluchons alignés le long du mur pendant la journée délimitaient chaque foyer autour desquels de vingt à trente personnes s’étaient regroupées. Quelques toutes petites filles revenaient de la gare, des bouteilles d’eau en équilibre sur la tête.

Nous étions brusquement dans un village de la région de Zinder. Comme chaque soir, cette petite caravane, qui avait traversé nous ne savions comment le Sahara, rapportait au bivouac quelques pièces d’aumône et de quoi se restaurer.

La plus belle natte a été dépliée pour les trois visiteurs que nous étions, rois mages aux mains vides. Les rares hommes nous ont accueillis, puis quelques femmes ont approché leurs nattes. En quelques minutes seulement, nous étions devenus le noyau d’un fruit de femmes et d’enfants. Le plus ancien de nous trois ayant vécu au Niger, connaissant leurs traditions et parlant haousa, fit naître sourires, puis rires et applaudissements en cherchant parfois ses mots ou en les mimant.

Invités des très pauvres

Notre situation de dépendance rétablissait une forme de partage. C’est eux qui venaient à notre aide. De notre côté, nous avions du mal à croire que ces femmes aient pu changer leur plainte mendiante en une parole retrouvée. De leur côté, certaines nous ayant croisés au cours de la journée durent aussi s’étonner de ne plus voir sur nos visages une indifférence gênée mais un vrai regard. À cet instant précis, nous étions les invités des personnes les plus pauvres de la terre.

Au moment de partir, une heure plus tard, les mains se sont tendues, non plus horizontalement mais verticalement. La dignité se joue parfois à un quart de tour. Nous avons serré des dizaines de mains vivantes.

Tant de jeunes qui fuient

Puis nous sommes montés sur la colline, de l’autre côté de l’oued, pour arriver aux ghettos. Autre visage de la migration : des hommes jeunes exclusivement, la plupart entre 16 et 30 ans, du Liberia, du Cameroun, de Côte d’Ivoire, du Togo, du Mali, du Congo, de Centrafrique…

Certains suivent les routes séculaires d’une migration saisonnière, d’autres ont fui des massacres comme au Liberia et en Sierra Leone, ont trouvé un refuge provisoire dans des pays voisins avant d’être à nouveau chassés. D’autres encore cherchent à gagner l’Europe par le Maroc ou en reviennent expulsés. Leurs espoirs, leurs déceptions, la fatigue se lisaient sur la quarantaine de visages.

Avant le lever du jour, les hommes partent sur les chantiers, certains y vivent la semaine, remplaçant les bétonnières ; d’autres travaillent dans les palmeraies. Certains économisent pour poursuivre la route, d’autres renvoient l’argent au pays.

L’Algérie, refuge provisoire et forcé

Du peuple sahraoui exilé sur son sol depuis trente-huit ans, aux harragas, jeunes Algériens fuyant le mal-vivre, en passant par les migrations subsahariennes ou du Moyen-Orient, l’Algérie reste un pays de transit et aussi d’accueil forcé de ces différentes formes de migration.

Six mille kilomètres de frontières désertiques ou minées, limitrophes de pays en guerre ou en grande difficulté. Et après la mortelle traversée du Sahara, l’ultime frontière, la Méditerranée, est devenue un véritable cul-de-sac, renforcé par l’externalisation des frontières européennes.

Veut-on faire du plus grand pays d’Afrique – ou de tout le Maghreb – un centre de rétention à ciel ouvert, un terminal de la migration ? Rappelons que l’Afrique est le continent où les flux migratoires internes sont les plus importants.

Vivre, à quel prix ?

Nous étions là, dans une carcasse d’immeuble, à nous demander si nous aurions accepté de mourir « légalement » chez nous, de famine, de guerre ou de simple misère, ou si nous aurions tenté de survivre « irrégulièrement » au-delà de ces frontières tracées par ceux-là mêmes qui étaient entrés « légalement » pour coloniser et qui, aujourd’hui encore, à travers la mondialisation, « développillent » et entretiennent l’insécurité en Afrique.

On estime qu’une ampoule sur trois éclaire en France grâce à l’électricité produite par les centrales nucléaires fonctionnant avec de l’uranium nigérien, exploité par Areva. À l’inverse, 90 % de la population nigérienne n’a pas accès à l’électricité ! Le Niger, dernier pays au classement de l’indice humain, est donc le premier fournisseur de la cinquième puissance économique mondiale.

Depuis 1970, Areva aurait extrait près de 120 000 tonnes d’uranium, pour un coût estimé à 13 % de sa valeur totale d’exportation. Bien entendu, il n’y a aucune certitude que l’État nigérien redistribue ces « sous-recettes », qui ne représentent par an que 5 % du budget de l’état. L’actuel président, Mahamadou Issoufou, est un ingénieur des Mines, ex-cadre d’Areva et ex-directeur de la mine d’Arlit.

Des hommes et femmes dignes

Je suis resté touché par la dignité et l’humanité de ces personnes rencontrées à Ghardaïa. Et pourtant, nous avons vu ce soir-là ceux qui font trembler l’Europe. Ces hommes, ces femmes et ces enfants qui justifient que Frontex, Eurosur et autres agences européennes déploient drones et matériels de haute technologie, non pas pour sauver des vies mais pour protéger la citadelle. Et qui ont la barbarie d’envisager de réinstaller des lames coupantes au sommet de la triple clôture frontalière de Melilla, enclave espagnole au Maroc.

Nous avons partagé des moments de convivialité, des échanges simples bien loin des grands discours. Une journée ordinaire de mendicité, de travail, d’espoir d’une vie meilleure. Une journée que l’on peut choisir d’ignorer ou de partager.

En quittant nos hôtes, cette constatation : Pourquoi ne croise-t-on pas les gens censés trouver des solutions sous les tentes sahraouies, dans les ghettos ou les pateras ? Pourquoi avoir intérêt à transformer un phénomène en problème ? Pourquoi choisir de gérer toujours plus les conséquences et refuser de s’attaquer aux causes ? À qui profite la situation ?

Jean-François Debargue

http://www.la-croix.com/Solidarite/Dans-le-monde/

Jean-François Debargue est secrétaire général de Caritas Algérie. Il rencontre les communautés migrantes de Ghardaïa, avec Sœur Laurence Huard, de Caritas Algérie, et un Père Blanc. Il travaille aussi auprès des réfugiés sarahouis en Algérie. Il a publié, en 2011, Journal d’un camp sahraoui, le cri des pierres (Karthala, 240 p., 24 €).

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