Promesse de visa : Les bureaux d’immigration vendent-ils du rêve ? [Reportage en Tunisie]
Par Julie Chaudier
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La Tunisie, comme le reste du Maghreb, compte des bureaux d’immigration qui proposent aux travailleurs, étudiants ou diplômés de les aider à obtenir un visa pour un pays développé, mais ces machines à vendre du rêve tiennent-elles leur promesses ?
Avec l’été, les journaux tunisiens publient des petites annonces particulières. Les bureaux d’immigration, avec la fin de l’année scolaire se font connaître de leurs potentiels clients. Aux diplômés ils proposent de trouver un visa étudiant pour l’Ukraine, par exemple, ou un de travail au Canada. La demande est telle que l’Organisation internationale du Travail (OIM) a rendu publique, aujourd’hui, vendredi 19 juillet, une étude intitulée « Le Marché du travail canadien : explorer les opportunités d’emploi pour les Tunisiens ».
Au fil des années s’est développée toute une économie basée sur l’appétit des Tunisiens, comme des Marocains, pour l’émigration. L’offre : les agences de placement, les bureaux d’immigration, les cabinets d’avocats spécialisés. Ils ont en commun de proposer de prendre en charge, à la place de leurs clients, toutes les démarches nécessaires pour obtenir un visa, mais fournissent-ils un service concret ou vendent-ils du rêve aux Tunisiens ?
« pas mal de victimes »
« Il a beaucoup de bureaux d’immigration qui ne sont pas fiables, beaucoup d’arnaques qui font pas mal de victimes », reconnaît d’emblée Khalil Lamiri, chargé de mission au secrétariat d’Etat tunisien à l’immigration. « Les agences qui profitent du rêve d’émigrer peuvent demander 12 0000, 15 000 dinars (61 000/77 000DH). Elles appellent sans cesse le candidat à l’émigration en lui demandant à chaque fois de payer de nouveaux frais s’il veut obtenir son visa. Elles promettent de leur trouver un contrat de travail puis disparaissent sans laisser d’adresse », explique Rania El Ahmadi, présidente d’une association de diplômés chômeurs à Sfax, deuxième plus grande ville de Tunisie et poumon économique du pays.
Ces arnaques peuvent également se présenter sous la forme de bureaux de placement. Ces agences reçoivent, en principe, un mandat d’une entreprise étrangère pour lui trouver de la main d’œuvre prête à émigrer. « Certaines appâtent les candidats à l’émigration en promettant des emplois pour de grandes sociétés étrangères très connues, alors qu’elles n’ont aucun mandat. Elles se servent de leur nom sans autorisation », explique Rania El Ahmadi qui a également travaillé avec son frère, président d’un bureau en conseil en placement de personnel.
Faire son beurre sur le dos des rêveurs
Pour le secrétariat d’Etat à l’immigration, les bureaux ne sont pas pour autant tous bons à jeter ; il faut plutôt savoir trier le bon grain de l’ivraie. « Une nouvelle loi oblige tous les bureaux d’immigration à se déclarer. Ils doivent remplir un cahier des charges détaillés et verser plusieurs milliers de dirhams d’assurance », indique Khalil Lamiri. Selon lui, les Tunisiens ne doivent à présent se fier qu’à ceux qui ont été agréés. La réputation et la durée de vie des bureaux peuvent également servir d’indication.
A Tunis, plusieurs grands bureaux, comme Acces Canada, ont pignon sur rue depuis des années. Avec eux pas d’arnaque : ils ne risquent pas de partir avec l’argent sans laisser d’adresse, mais sont-ils pour autant utiles aux candidats à l’immigration ou font-ils leur beurre sur le dos des rêveurs ? A l’ambassade du Canada, un responsable qui a préféré rester anonyme, reprend le discours officiel canadien : « le résultat à une demande de visa de travail dépend du profil du candidat, les bureaux d’immigration n’offrent aucun privilège. Si vous ne répondez pas aux critères cela ne sert à rien de déposer un dossier et ça coûte cher, près de 5000 à 6000 dinars. Les bureaux ne sont que des intermédiaires qui ont l’habitude du travail administratif et comptable », assure-t-il, reconnaissant en creux qu’une expertise administrative et comptable n’est pas superflue pour obtenir un visa.
Procèdure longue et complexe
« ll est possible de monter un dossier seul, admet Inès Mehri, chargé du marketing, pour le bureau de Tunis, installé depuis 15 ans, mais avec la paperasse demandée, ce n’est pas un dossier très facile à constituer ». Ce n’est pas sans raison si le Canada, parmi tous les pays d’émigration possible, compte autant de bureaux d’immigration propres dans le monde et au Maghreb en particuliers. La procédure est longue, complexe, et ses règles changent très fréquemment. « Je me rappelle avoir rencontré un jeune Tunisien, lors d’un examen de langue, qui préparait son dossier de demande d’émigration vers le Canada, mais il avait un diplôme en finance qui n’appartenait pas à la liste des diplômes admissibles publiée récemment par le Québec. Cela ne servait à rien », se rappelle Fatah Choukry, membre d’un bureau d’avocats canadien installé à Tunis depuis 2010.
Déjouer les pièges, rendre un dossier parfait, connaître son code métier, former aux métiers demandés par le Canada cela se paie. « Les frais de suivi de dossier vont de 2155 à 3690 dinars selon le statut familial et le mode de paiement choisi », indique Inès Mehri, responsable marketing pour Acces Canada. Gorgi Abou El Hassan est le président d’Univers Study Service, depuis 2010. Il aide les étudiants à poursuivre leurs études à l’étranger notamment en Allemagne, en Ukraine et en Roumanie. « Nous formons le dossier avec le candidat, puis nous sollicitons les universités. Pour cela nous demandons 500 dinars (2500 dirhams) avant, puis 500 dinars après que le candidat a reçu son visa », détaille Gorgi Abou El Hassan. Des cabinets d’avocats spécialisés proposent des services semblables. « Pour monter et suivre la totalité d’un dossier d’immigration pour le Canada, mon cabinet prend près de 4000 dinars (20 000 dirhams) pour un célibataire et 5000 pour un couple. C’est cher, mais nous obtenons des visas pour une trentaine de personne chaque année », explique Fatah Choukry.
Taux de réussite inconnu
Difficile de mesurer le taux de réussite des ‘élèves’ candidats à l’émigration par bureau d’immigration car chacun avance les chiffres qu’il veut sans vérification possible. Acces Canada, par exemple, se targue de mener 80% de ses dossiers jusqu’à l’étape de l’entrevue, soit déjà 24 mois après le dépôt du dossier, mais ne connaîtrait pas son taux de réussite final, c’est-à-dire le nombre de visas délivrés en proportion du nombre de dossiers déposés. « En 2012, nous avons déposé 400 dossiers, et une centaine (ce ne sont pas les mêmes dossiers car il se passe plusieurs années entre le dépôt et la réponse) a obtenu son visa », indique cependant Inès Mehri, soit un taux de réussite grossièrement calculé de 25% alors que Accès Canada n’accepte que les dossiers qui ont une chance d’aboutir. De la même façon Fatah Choukry afficherait un taux de réalisation de près de 100%, mais lui aussi n’accepte que les bons dossiers. Une preuve de sérieux car les deux professionnels ne profiteront pas de l’argent de candidats qui n’ont aucune chance, mais aussi une difficulté supplémentaire pour mesurer la valeur ajoutée réelle de leurs services.
Walid Gharbi, musicien compositeur tunisien, s’en dit, du moins, satisfait. Il vit aujourd’hui à Montréal. « En 2006, je suis parti à Montréal, dans le cadre d’un festival et j’ai fait le test sur internet pour connaître mes chances d’obtenir un visa. Ce n’était pas trop cher, je me suis lancé, raconte-t-il. J’ai pris un avocat pour finir toute la procédure. Je sais qu’il faut beaucoup d’attention pour tout remplir, et je n’avais pas le temps de le faire, ma femme non plus et je ne voulais pas devoir la tenir pour responsable si j’essuyais un refus. » En 2010, avec près de 5000 dinars versés à Fatah Choukry, il a obtenu un visa pour lui, sa femme et leurs deux enfants.
Visa pour travailleurs temporaires
Mais le plus sûr moyen de partir est peut être encore de répondre à une offre de recrutement des agences de placement car elles offrent directement des emplois, principaux sésames de l’émigration. « Il existe des bureaux de recrutement qui recherchent de la main d’œuvre pour des sociétés étrangères au Canada, aux Etats Unis, en Afrique du Sud ou dans les pays du Golfe », indique Rania El Ahmadi. Comme pour un visa de travail classique, il faut correspondre aux critères du poste, mais il est toujours plus sûr de répondre à une offre d’emploi que de faire une candidature spontanée. Preuve du sérieux d’une agence, selon elle : « elle ne demande aucun versement au candidat à l’émigration de travail et tire la totalité de ses revenus de son contrat avec la société étrangère. »
Dans ce cas du Canada, cette forme de recrutement correspond à l’immigration de travail temporaire. Il s’agit de partir au Canada pour travailler avec une seule entreprise exclusivement à toute autre pour une durée déterminée et courte sans possibilité, ou presque, d’obtenir une résidence permanente. Le visa n’est alors que l’ombre du graal, comme l’expliquent Marie Boti et Malcom Guy dans leur documentaire « La fin de l’immigration ? »