05. November 2012 · Kommentare deaktiviert für Polen: Bericht aus dem Hungerstreik der Flüchtlinge · Kategorien: Nicht zugeordnet · Tags:

Courrier International
Pologne, ce pays qui emprisonne les demandeurs d’asile

Depuis mi-octobre, des réfugiés ont entamé une grève de la faim pour dénoncer les conditions inhumaines qui règnent dans les centres gardés où ils sont regroupés. Une journaliste géorgienne, enfermée dans un de ces centres, lance un appel.
Gazeta Wyborcza
Ekaterina Lemondjava
31 octobre 2012

Sur cent étrangers qui viennent se réfugier en Pologne, environ 90 % finissent par quitter ce pays. Et ce ne sont pas seulement les conditions de détention en prison qui les font fuir. Je parle sciemment de „prison“, car les centres fermés pour les réfugiés rappellent, en effet, la prison.

Depuis mon arrestation, une véritable descente en enfer a commencé pour moi. Que ce soit à l’aéroport, chez les gardes-frontières, en garde à vue ou en prison, durant ces vingt-huit heures d’enfermement, partout on m’a ordonnée de me déshabiller. Il semble qu’on ait apprécié tout particulièrement la vue de mes culottes ensanglantées et de mon corps, tout aussi ensanglanté. J’ai eu l’impression que j’étais redevable de quelque chose à ces gens – les fonctionnaires – et que je ne voulais pas leur donner ce qu’ils attendaient. C’est pourquoi ils m’ont punie, par leurs gestes, leurs actes, leur attitude.

Vingt-quatre heures ne s’étaient pas encore écoulées qu’ils m’avaient déjà mise dans un „panier à salade“. Dans ce genre de véhicules, on transporte les criminels et les condamnés. Je me suis demandée si je souffrais d’un dédoublement de personnalité – je ne me souvenais peut-être pas que j’avais harcelé une mineure ou commis un attentat terroriste.

Durant ces quatre dernières années, je me suis occupée d’un club de rock à Tbilisi, à 200 mètres de l’ambassade polonaise. Fréquenté par tous, des punks aux politiciens. Tout le monde, en Géorgie, a entendu parler de ce club. Je m’en souviens. Et là où je me suis aujourd’hui, une femme en uniforme m’ordonne de me déshabiller… C’est la troisième fois de la journée.

Des barreaux partout 

Une haute clôture avec du barbelé, des gens en uniformes militaires. Un petit couloir, huit chambres. Une cuisine, des toilettes et une chambre avec la télé (le „coin rouge“). Quand les portes blindées se sont ouvertes devant moi, quand j’ai vu d’autres réfugiés, j’ai été contente comme si j’avais retrouvé des membres de ma famille recherchés depuis longtemps. Il n’y avait rien à manger pour moi. D’autres prisonniers ont partagé avec moi leur ration. Ensuite, j’ai fait connaissance avec tout le monde. Ils étaient vingt. Nous sommes désormais vingt et un.
Voici une famille dont la femme est enceinte, avec un bébé dans les bras. Ils sont là depuis deux semaines. Une autre famille, originaire du Pakistan. Une femme avec deux garçons, de 7 et 16 ans. Ils sont ici depuis sept mois. Sans aller à l’école, sans rien faire. Et encore une famille, de Tchétchénie. Ils ont trois enfants. Ils racontent comment une fonctionnaire ivre les a menacés en pointant son arme sur les enfants. Je découvre qu’ils avaient déjà vécu en Pologne auparavant. Quand le père a été agressé pour la deuxième fois par les Russes (il en est presque mort), ils ont décidé d’aller en Allemagne. De là, ils ont été expulsés vers la Pologne. Une famille venue de Géorgie. Ce sont des Yézidis, une minorité kurde. La femme est âgée de 23 ans, son mari de 25. Ils ont perdu un enfant en Pologne. Elle était enceinte de quatre mois quand les douleurs ont commencé. Ils ont demandé à voir un médecin (c’était au centre pour les réfugiés à Zambrow) et celui-ci a constaté que tout allait bien : cela arrivait parfois. Le jour suivant, quand la douleur est devenue insupportable, ils sont allés à l’hôpital, consulter le même médecin. Après l’examen, il a constaté que le fœtus était en train de mourir et qu’il fallait avorter. Le lendemain, l’état de la femme a empiré, elle a eu une hémorragie, ignorée par les médecins, qui ont dit que tout allait bien et qu’elle pouvait quitter l’hôpital. C’est alors que le couple a décidé de quitter la Pologne. Ils sont allés en Belgique, dans un hôpital où on les a informés qu’il fallait effectuer une autre opération, pour retirer les restes du fœtus après l’avortement mal fait.

J’écoute ces histoires derrière des barreaux. Et je me dis que ce que la Bible appelle l’Enfer est ici, en Pologne.
Ils m’ont enfermée avec une femme de Katmandou. Une ville dont je rêve. Un jour, j’irai pour me faire plaisir. La Népalaise est au lit, depuis sept mois déjà. J’ai beaucoup d’admiration pour les bons acteurs, mais elle ne joue pas, elle tousse toutes les nuits en crachant du sang. Une infirmière affirme qu’elle va bien, l’autre l’accuse de simuler.
Les vigiles. Ils sont l’air si sérieux… Comme si on allait les attaquer à tout moment – les femmes et les enfants ? Environ 80 % des employés du centre ne connaissent ni le russe ni l’anglais. Il n’y a pas de traducteur. Les barreaux sont partout. La promenade dure une heure, deux fois par jour.

J’ai toujours cru que la situation qui règne en Géorgie aurait fait un formidable sujet pour Kafka.

Mais il est clair qu’ici l’absurde ne manque pas non plus. Par exemple, ils emmènent la femme enceinte dans le véhicule qui sert à transporter les prisonniers, avec ses ouvertures grillagées. Comme si elle était une criminelle. Son mari s’y est opposé, juste une fois, quand nous avons parlé ensemble. Il a protesté une fois, puis il s’est tu. Mais pour moi, il est essentiel de ne pas devenir passive, „morte à l’intérieur“, et de me battre jusqu’au bout. C’est pourquoi je proteste.
On tabasse les grévistes

Désormais, je peux téléphoner grâce à différentes organisations. Elles font tout ce qui est possible et impossible. Malheureusement, je ne pense pas qu’elles soient en mesure de venir à bout de la bureaucratie polonaise. Mais on peut toujours défier le destin.
Quatre centres pour les refugiés se sont mis en grève : 78 personnes. A Bialystok [est du pays], on a tabassé les grévistes. A Przemysl [sud-est, à la frontière avec l’Ukraine], on les mis au cachot. L’un des grévistes, Badri Kvarkhava, s’est tailladé les veines. Il ne supportait plus de vivre comme ça. A Biala Podlaska [est du pays], les vigiles ont appelé une unité de forces spéciales, une quinzaine d’hommes, portant tous une cagoule, avec une matraque à la main. Ils sont restés pendant trois heures, dehors, face aux immigrés. Quand ils ont jugé qu’ils avaient suffisamment fait peur aux grévistes, ils sont partis.

Chez nous, le silence règne. Le responsable du centre a convoqué, un par un, les grévistes. Il a promis de jolis vêtements à l’un d’entre eux pour qu’il interrompe la grève, et des produits diététiques à un autre. Ils ne font plus la grève de la faim. Le responsable ne m’a rien proposé. Il a probablement dépenser tout son budget…

Je vais purger la totalité de ma „peine“ et je retournerai dans ma patrie. Mais où que je sois, je vais faire découvrir le vrai visage de la Pologne. Un pays où l’interprétation des droits de l’homme et de la démocratie n’a pas changé depuis l’époque communiste. Moi, Ekaterina Lemondjava, moi qui ai traversé illégalement la frontière.

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