ANOUAR ZAHOUANI, GUITARISTE ET UN DES LEADERS DE HOBA HOBA SPIRIT, À L’EXPRESSION
«L’important est de parler de nous dans notre dialecte»
Par Entretien réalisé par O. Hind – 08.08.2012
Ils appellent ça de «la haiha music» qui met de l’ambiance et vous met de bonne humeur. Les trublions de Casa chantent en français, anglais, en espagnol et en darija marocaine, passent d’un registre léger à plus sérieux, du festif à l’engagé sans coup férir, faisant du groupe une formation complète dans la nébuleuse musicale marocaine, un groupe qu’il faut absolument connaître si ce n’est déjà pas fait. Créé en 1998, le groupe allie le rock au gnawi avec naturel et classe. Retour sur la musique de Hoba Hoba Spirit qui a enflammé dimanche dernier les planches du chapiteau du Hilton à khaimetkoum chez Djezzy…
L’Expression: Ça fait quoi de jouer en Algérie?
Anouar Zahouani: C’est comme jouer à la maison, c’est la deuxième fois qu’on joue en Algérie et ça fait vraiment plaisir de revenir. On est venu il y a trois ou quatre ans, on avait joué pour un concert privé..
Peut-on dire, en découvrant vos chansons, que vous n’êtes pas qu’un groupe festif mais un peu engagé eu égard à vos titres comme Intikhabet et Super Caïd, un morceau fort…
Engagé est un grand mot mais ce qu’on fait nous est de décrire notre quotidien à notre manière, c’est-à-dire avec un peu d‘ ironie. On n’est pas là pour chanter l’amour, c’est trop personnel. Il est vrai que dans la musique arabe on chante sur la chérie qui est partie, etc., nous, on est plus ancré dans le réel, le quotidien, c’est pourquoi on perçoit cela comme de l’engagement de notre part dans une guerre ou pour une cause. Comme je l’ai dit, c’est notre quotidien, il n’est pas marrant mais on essaye de le rendre un peu vivable
C’est quoi alors l’histoire de la chanson Monsieur le super Caïd?
C’est tiré en fait d’une chanson française La lettre à Monsieur le président qu’on a un peu adaptée, de Dutronc je crois. Chez nous, le summum de pouvoir qu’on peut atteindre c’est le caïd et après le super Caïd qui a un poste complètement à l’ouest car on ne sait pas du tout à quoi il sert. Et donc pour nous, l’incarnation de nos politiciens, de notre gouvernement, de notre bureaucratie c’est celui-là, c’est le super Caïd. Le caïd c’est un peu le suppléent du maire. Chez nous, si tu arrives à celui-là tu es déjà champion!
Vous vous attaquez un peu aux USA ou plutôt vous les raillez dans une de vos chansons…
C’est de l’ironie, de la dérision. On aurait bien aimé être le pays le plus fort du monde, économiquement le plus puissant. Comme on ne peut pas l’être, eh bien on les titille un peu. C’est mignon.
Vous êtes un peu nationalisé et fier de Casablanca.
On est fier de notre quartier, de notre famille, de notre ville, de nous en tant qu’individus car c’est aussi ça le problème chez nous, Maghrébins, Arabes, on nous a toujours appris à nous fondre dans la collectivité, donc on part de nous et on monte plus haut, je préfère enkebar biya et de mon pays après. On parle de plusieurs sujets, on part donc du super Caïd, puis on arrive à «l’maricaine…»
Et un des sujets qui vous touchent le plus est le phénomène d’el harga…
Chez vous, vous dites El harga, nous on dit el hrig. Nous on est originaire du nord du Maroc et la Méditerranée est proche de l’Espagne. C’est un drame en l’absence de toute politique économique cohérente et sociale etc., Il n y a plus d’échappatoire, tu ne peux faire autrement. Dans nos familles il y a un quart qui est là-bas, dont la moitié est sans papier. C’est un drame. C’est le drame de tous les tiers-mondistes. C’est dommage de le dire comme ça.
Vous le chantez pour que les gens restent ou c’est juste un constat?
C’est un constat. On n’a pas inventé le hrig. Cela a toujours existé, cela nous touche dans nos familles, dans nos villes. C’est un drame et comme d’habitude on ne va pas pleurer parce qu’on a ça, il y en a qui meurent tous les étés, il y a des gens là-bas qui regrettent d’être partis car ils sont traités comme des animaux. Ils auraient du rester chez eux mais bon. Encore une fois on ne dit pas c’est bien ou pas bien mais voilà, la situation est comme ça. Elle est désastreuse, on vit avec.
Que pourriez-vous nous dire du phénomène Nayda au Maroc?
C’est un mouvement qu’on appelait Nayda, d’autres l’appellent la Movida, d’autres la Nouvelle Scène. Tout ça n’a jamais été calculé. A un moment précis il y avait plein d’énergie, plein d’idées, d’ambitions. Les jeunes ambitionnaient autre chose que de rester chez eux ou de hrig. Au lieu de perdre leur temps, ils ont décidé de faire de la musique, de parler d’eux, de faire de la musique, mais aussi de la photo, de la culture en général, de l’art.
Ce qui est important est de parler de nous-mêmes dans notre dialecte à nous. Je ne sais pas si vous avez cela en Algérie, nous, on a été bassinés depuis longtemps par «el musiqa el asria», c’est-à-dire des Maghrébins qui chantent en arabe classique. Nous avons un pays à 60% d’analphabètes, il n’y a personne qui comprend le type qui parle à la télé ni aux infos. Nous on chante déjà en marocain. A l’époque c’était excusable, dans le sens où il y a eu toujours ce comportement paternaliste des anciens par rapport aux nouveaux. Ils disaient: «Ah ce sont des jeunes, laissez-les se calmer, ça va leur passer…»
ça me rappelle un peu le film Casanegra..
Oui Casanegra et pleins d’autres films dans le genre. En ce moment, il y a une pléthore de produits en ce sens. Le rap par exemple, chez nous c’est un phénomène incroyable. Il y a des groupes dans chaque famille, du petit au grand frère. Déjà économiquement parlant, c’est plus facile d’être un rappeur qu’un rockeur. Pour être rappeur il suffit d’avoir un pc chez toi et avec simplement un micro, un casque et un logiciel craqué, tu peux faire ce que tu veux. Cela permet de t’exprimer facilement. Ce n’est pas comme un groupe où il faut avoir des instruments, un local pour répéter. Il faut des moyens, ensuite le rap ça parle toujours de la rue, des jeunes, de contestation. Fatalement, tous les jeunes sont dans ce triple-là. Donc si tu peux, vas-y.
Et que devient Hoba Hoba Spirit alors?
On sort régulièrement des singles maintenant. On prépare le sixième album qui sortira probablement fin 2013.
Vous chantez aussi la femme dans un single assez truculent Femme actuelle…
Bizarrement, c’est la chanson préférée de nos femmes. Notre fan club féminin adore ce morceau. C’est une caricature assez juste. Honnêtement, si on n’aimait pas nos femmes autant, on ne l’aurait pas fait le morceau. On est assez acerbe envers nos congénères masculins. Je pense qu’on a été un peu proche de la réalité, d’ailleurs, elles nous disent: «Vous avez dû être des femmes pour écrire ce morceau.» Dans chaque homme, il y a un peu de femme effectivement.
Pour un groupe marocain, le gnawa n’est pas trop votre dada, vous vous différenciez des autres groupes marocains un peu traditionalistes.
En fait, s’il y a bien un terme qui nous horripile pour nous décrire c’est bien la «World Music». C’est un peu tout ça, le mix entre le traditionnel, le gnawi, le rock, le moderne, le chaâbi, et pour nous, passer du gnawi au chaâbi comme on fait, au alaoui, du regada au chioukh, au rock c’est inné chez nous. Dans nos fêtes chez nous, ma grand-mère connaissait aussi bien Bob Marley, chikha Rimiti que Cheb Khaled. Donc on a été baignés dans cette musique occidentale, traditionnelle.
On met des jalabas avec des baskets comme on sirote le thé avec de la crème, alors pourquoi pas faire du gnawi avec du rock et des guitares. On n’a même pas cherché à le faire, zaâma, on s’est dit ça va marcher. On a pris nos guitares et voilà, c’est parti comme ça. Ce qu’on fait, on l’a appelé de la haiha musique. C’est relatif à la criée lors de la chasse. C’est comme les rabatteurs qui font de la crié. Au Maroc, la haiha cela veut dire la bonne ambiance, le bruit de la bonne musique, donc la haiha music!