Quelle: Telquel
Devenu symbole de la lutte contre la « hogra », Mouhcine Fikri était un jeune autodidacte qui a persévéré pour s’extirper de la misère. Portrait.
Le temps d’un week-end, Mouhcine Fikri est passé du statut de parfait inconnu à celui de symbole de lutte contre la « hogra ». Plusieurs milliers de manifestants ont défilé dans une dizaine de villes marocaines, le 30 octobre, pour crier leur indignation. Derrière le symbole qu’est devenu ce vendeur de poisson, dont la mort a ému tout le pays, il y a l’histoire d’un jeune autodidacte qui a multiplié les petits boulots pour se former un petit pécule et lancer son propre commerce.
Moucine Fikri a vu le jour à Imzouren, en 1985. Fils d’un père instituteur et d’une mère femme au foyer, il a grandi dans un foyer de dix enfants. Chez les Fikri, les enfants subviennent aux besoins de la famille. Le chômage des deux frères aînés de Mouhcine, diplômés en physique et en chimie, a obligé le défunt à suspendre ses études pour trouver un emploi, témoigne son cousin Alae Chams-Eddine.
Mouhcine enchaîne dès lors les petits boulots dans le commerce. Il s’essaie à la vente d’épices ou encore à celle d’ustensiles de cuisine en plastique. Ensuite, il décide de reprendre ses études en intégrant l’Institut de technologie de la pêche maritime d’Al Hoceima, avant de travailler en tant que mareyeur. Une fonction qu’il occupera pour une courte durée car, selon ses dires, « travailler en mer est difficile », se souvient Karim, un mareyeur d’Al Hoceima qui l’a côtoyé de près.
Toutefois, Mouhcine continue à s’intéresser au domaine de la pêche. Après avoir obtenu des financements, il s’achète une fourgonnette avec laquelle il assure la distribution des poissons dans un premier temps, avant de se mettre à vendre des fruits et des légumes. Il s’essaye même, pour subvenir aux besoins de sa famille, au commerce des moutons.
Mouhcine Fikri décide, par la suite, de se lancer dans l’achat de marchandises avec, au départ, un investissement de 30 000 dirhams. Crevettes, calamars, anchois, formaient l’essentiel de son commerce. L’activité de Fikri intéresse, puisque sa marchandise est livrée jusqu’à Fès, mais inquiète également les gros bonnets du port « qui ne veulent pas tolérer l’existence d’un concurrent de plus » raconte Alae. Une inquiétude qui les pousse à entrer directement en contact avec des clients de Mouhcine afin qu’ils ne s’approvisionnent plus chez ce dernier.
Déterminé, il ne baisse pas les bras. Après une courte expérience de chauffeur de taxi, il se relance dans le commerce de poisson grâce à des économies de 20 000 dirhams. Sous la pression des lobbies du port, les clients ne répondent pas au rendez-vous mais cela n’empêche pas Mouhcine de se lancer dans la vente en détail des marchandises, ce qui lui permet d’éponger ses pertes financières. « Personne ne peut maintenant me briser, je vais réussir malgré l’hostilité des voleurs du port » aurait confié Mouhcine Fikri à son cousin Alae Chams-Eddine.
Petit à petit, le jeune trentenaire arrive à trouver des circuits loin de l’emprise des lobbies du port, en effectuant des livraisons pour hôtels et restaurants. Depuis, Mouhcine fait tourner son commerce malgré les contraintes du « bakchich » qui fait partie intégrante du quotidien dans ce domaine. Jusqu’au soir du drame. Bien qu’il nous ait confié avoir la garantie de la part du ministre de l’intérieur et du roi Mohammed VI que les responsables du drame de Mouhcine seraient sanctionnés, le père, très mesuré, espère que cette mort « mettra fin au système de corruption ».