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Rencontre avec Karim, un clandestin marocain à Alger : Les frontières sont fermées juste sur papier
Au moment de la publication de cet article, Karim se trouve déjà dans son pays au Maroc. Il habite à Fès, ou il est né en 1986. Il fait la navette entre l’Algérie et le Maroc depuis 2004. Il travaille comme maçon et carreleur à la fois. Il a exercé son métier chez des particuliers dans les wilayas de Tlemcen, Oran, Ain-Temouchent avant de s’établir dans sa ville préférée, Alger. Dans quinze jours, il sera de retour en Algérie.
Souriant et nullement inquiet, Karim de sa vie de « sans papiers » en Algérie. « Allah ghaleb, je vais chez moi nous dit-il, mais je reviendrai dans quelques jours. En Algérie je me sens chez moi, même quand les éléments des services de sécurité m’arrêtent. Ils sont gentils et humains avec moi, alors comment voulez-vous que je déteste l’Algérie, un pays qui me donne à manger et me permet de vivre dignement, jusqu’à acheter mon appartement à Fès».
Karim aime travailler, bien vivre, faire la bamboula et pense à construire son avenir. Mais pourquoi alors, il laisse ses papiers à Fès et rentre illégalement en Algérie ? « C’est pour ne pas rencontrer des problèmes et mes papiers resteront propres », nous répond-t-il.
Karim se libère et commence à nous raconter ses aventures. « Mes voyages entre El-Moghrib wa Dzaïr se déroulent dans de bonnes conditions nous précise-t-il, vous rigolez, il y a à Maghnia et de l’autre côté au Maroc, des lieux dans lesquels des gens nous attendent pour nous accompagner et faire le change, tout se passe en quelques minutes », dit-il. Karim !
La frontière terrestre algéro-marocaine est fermée et très surveillée lui dit-on. « La frontière algéro-marocaine est fermée sur le papier uniquement nous répond-t-il, le paiement des gardes algériens et des gardes marocaines s’effectuent automatiquement, vous traversez ensuite soi-disant la frontière sans aucune inquiétude », précise-t-il. Parfois, quand il a beaucoup de travail, il le partage avec d’autres marocains qu’il ramène avec lui.
Il nous explique aussi qu’ « il y a des camions chargés de vivres, de légumes secs, de céréales, d’huile, de conserves et de matériaux de construction qui traversent votre pays pour aller au Maroc, mais dans l’autre sens, il y a des chargements de drogue et de boissons alcoolisées frelatées qui sont livrés par les contrebandiers en Algérie. Le trafic est trop important. Il faut beaucoup de bakchichs pour faciliter toutes ces transactions ».
Voyant notre surprise, il précise : « D’ici, cela vous parait impossible. Allez-y à la frontière pour vous rendre compte du spectacle. Vous verrez que les contrebandiers des deux cotés de la frontière algéro-marocaine coopèrent grâce à la complicité des soldats algériens et marocains chargés de surveiller la frontière. Ils ne sont pas empêchés par les tranchées. Ils avaient trouvé la solution pour traverser les tranchées. Tout le monde le sait à la frontière. Ces contrebandiers algériens et marocains se fichent des décisions des hommes politiques des 2 pays. Ils brassent des milliards chaque jour. Ils ne s’intéressent qu’à leur business », dit-il.
Karim n’est pas attiré par l’Europe ni par le commerce de la drogue. « Ceux qui font du commerce avec de la drogue, ils sont des milliardaires, moi je ne le suis pas pour le moment et j’évite ce créneau explique-t-il, je n’ai jamais pensé aussi à aller vers la France, l’Italie ou l’Espagne, parce que tout simplement l’Algérie est paradis pour nous les marocains. Il y a de l’argent à ramasser dans votre pays. Les jeunes algériens prennent les risques pour se rendre en Europe par la mer, (rires) pourtant ils ont leur gouvernement qui leurs donne des camions et des fourgons et les autres projets grâce à l’ANSEJ, ce n’est pas le cas chez nous au Maroc. Tiens, je viens de me souvenir de ce qui s’est passé la dernière fois pour moi à la frontière dit-il, alors que je n’avais qu’une petite somme de 30 millions de centimes algériens. J’étais sur notre territoire marocain. Deux gardes marocains m’ont laissé faire le change comme d’habitude. Ensuite, ils sont venus me voire. Ils m’ont empêché de continuer mon chemin. J’avais payé chacun des 2 soldats 500 dirhams avant de continuer ma route vers Fès. C’est normal je n’avais pas de papiers. Je travaille dans l’illégalité. Tout se passe dans la nuit », ajoute-t-il.
Le change actuel, c’est 1 million de centimes algériens équivalent à 700 milles centimes marocains. « Je fais le change juste à la frontière dans une baraque de fortune, révèle Karim après avoir payé les soldats des 2 pays lors de mon passage ajoute-t-il, je rentre en Algérie à l’aurore et je sors de l’Algérie à partir de 21h00, il faut suivre les instructions des passeurs qui connaissent tout le monde à la frontière », dit-il.
Mais alors chez qui travaille-t-il en Algérie. Karim n’hésite pas. « Le meilleur endroit se trouve dans la capitale, les gens sont riches répond-t-il, j’ai travaillé chez des procureurs de la République, des juges, des hauts cadres de l’administration algérienne, des officiers supérieurs de la police, des familles très aisées. Mes clients savent que je suis marocain et je n’ai pas de papiers d’identité sur moi, mais je suis honnête avec tout le monde indique-t-il, j’assure mon hébergement dans chaque villa où je travaille. Le vendredi, je pars avec ma copine algérienne quelque part pour me détendre », nous confie-t-il.
Mais comment trouves-tu les algériens lui demande-t-on, «moi personnellement je ne peux pas m’en passer d’eux, mon avenir est avec les algériens, j’aimerai bien régulariser ma situation et trouver une fille algérienne pour me marier. Il y a beaucoup de jeunes marocains qui pensent comme moi, je vous assure », nous répond-t-il.
Y-a- t- il des marocaines qui rentrent illégalement en Algérie lui demande-t-on encore : «Oui, elles traversent la frontière et viennent travailler en Algérie, dans les villes de l’Ouest surtout, mais pas pour longtemps, car elles ne veulent pas prendre des risques en s’éloignant des réseaux de passeurs. Quant à la question du Sahara Occidental, je ne me sens pas concerné au même titre que mes compatriotes qui travaillent en Algérie au noir. Chaque pays doit être reconnu. Maintenant, si vous me dites que le Sahara Occidental a son Gouvernement donc, c’est un pays comme l’Algérie et le Maroc », conclut-il.
Après notre rencontre, Karim a été arrêté par les éléments des services de sécurité alors qu’il se trouvait en compagnie de son amie algérienne et d’une autre jeune femme à bord d’un véhicule, lors d’un contrôle routinier. Karim a fait l’objet d’une énième reconduite à la frontière ouest de l’Algérie. La crise algéro-marocaine n’avait pas encore éclaté. Karim sera de retour en Algérie comme à l’accoutumée. Il nous avait promis de nous rencontrer dès qu’il sera de retour à Alger.