les migrations et la mondialisation en débat – Oran – El Watan
Un colloque clôt la série de rencontres sur Abdelmalek Sayad
Les migrations et la mondialisation en débat
Le cycle a été entamé le 4 février 2010 par le Centre culturel français (actuellement Institut Français) en collaboration avec l’association de protection du site de la Villette représentée par Yve Jammet.
«Migrations et mondialisation», intitulé du colloque international programmé au CRASC les 21 et 22 mai, clôt une série de neuf rencontres consacrées au sociologue algérien Abdelmalek Sayad. Le cycle a été entamé le 4 février 2010 par le Centre culturel français (actuellement Institut Français) en collaboration avec l’association de protection du site de la Villette représentée par Yve Jammet. Au fur et à mesure, d’autres instances ont été mises à contribution dont le CRASC qui a abrité une bonne partie des débats mais aussi l’association des amis de Abdelmalek Sayad présidée par Christian de Montlibert, université de Strasbourg, et coorganisateur de l’exposition «Ici, là-bas, la sociologie de l’émigration-immigration», en adéquation avec les théories du chercheur qui, en son temps, a réussi à imposer la thématique de la migration dans les sciences sociales.
«Le sociologue des marges, de l’entre-deux», considère ce dernier qui a intervenu en séance plénière pour démontrer que Abdelmalek Sayad est certes un spécialiste de l’immigration mais c’est d’abord un sociologue qui a théorisé les effets de la domination et des luttes symboliques. Parmi les différents centres d’intérêts, il évoque le travail effectué avec Pierre Bourdieu sur les transformations du monde paysan, l’analyse de l’évolution des valeurs de cette catégorie et les efforts de réflexion qui l’ont amené à sortir avec de nouvelles représentations.
Christian de Montlibert considère que chez Sayad, la réalité est sans cesse soumise à l’analyse critique faisant que l’histoire demeure toujours en chantier. C’est précisément le cas pour les phénomènes migratoires algériens qu’il a étudiés. «Ses travaux ont une valeur heuristique tout à fait d’actualité», estime l’universitaire français en réponse à une question sur la pertinence de l’œuvre de Sayad aujourd’hui. En tenant compte du fait que, selon lui, «les pays indépendants deviennent en général des banlieues du capitalisme des pays développés», il met en avant la subsistance des effets de domination symbolique étudiés par l’auteur de «La double absence».
Tassadit Yacine, qui a donné la première conférence du cycle, une «lecture croisée» de cette œuvre il y a trois ans, est revenu cette fois pour retracer son parcours et la formation de son habitus cultivé. «Le rappel du contexte historique permet de comprendre les raisons qui fondent la réflexion de Abdelmalek Sayad autour de l’émigration-immigration et d’en saisir la genèse», note la directrice à l’EHESS en évoquant la rencontre avec Pierre Bourdieu, alors jeune agrégé en philosophie qui, dit-elle, «l’entraînera sur le champ de l’enquête sociologique pour ne pas dire sur le champ de bataille».
En pleine guerre d’Algérie, la tâche n’était pas aisée. Abdelhafid Hammouche, de l’université de Lille, prévient contre une sacralisation du penseur, synonyme de monumentalisation, et appelle à une lecture critique de son œuvre. Son intervention porte sur la combinaison des approches de Sayad, Bourdieu et Weber et parle d’appropriation critique des savoirs par emprunt de registre ou d’éléments conceptuels. Il note une puissance d’analyse dans «les enfants illégitimes», un texte qui montre finement les rapports de générations et les différences d’aspirations des uns et des autres.
En corrélation avec «La ville» de Max Weber où les gens dépassent leur incompréhension pour construire des liens et un alphabet commun, il montre comment, en adéquation avec le concept émigration-immigration théorisé par Sayad, les migrants participent de la construction de la ville française. «Avec la montée des nationalismes, les interrogations qu’ils suscitent rendent urgent que cet héritage soit mieux étudié et analysé», souhaite Yves Jammet qui met en avant la fonction sociale pouvant aider à construire des repères. Cédées par Rebacca Sayad, les archives du sociologue (420 boîtes) traitées par son équipe sont mises à la disposition du public.
Ceci étant dit, ce colloque a été aussi une occasion de présenter d’autres expériences dans le monde, à l’instar des études de cas regroupées dans une session parallèle. Stamatina Kaklamani de l’université de Crête s’est intéressé aux femmes immigrées (des républiques de l’ex-Union Soviétique) qui assistent les personnes âgées en Grèce rurale. Souleymane Gomis de l’université Anta Diop du Sénégal a étudié les transferts de fonds des migrants sénégalais au Canada, une catégorie aisée qui n’échappe pas à certaines idées développées par le sociologue algérien.
Nicolas Jaoul du CNRS a regretté d’emblée de ne pas avoir lu Sayad avant d’entamer sa recherche sur l’émigration-immigration des «intouchables» à cause, précise-t-il, du cloisonnement regrettable des sciences politiques et de la sociologie. Sa lecture a postériori lui a permis en quelque sorte de conforter ses conclusions même si l’intitulé de son intervention portant sur le rôle politique des émigrés-immigrés «intouchables» en Grande-Bretagne et en Inde commence par «une double présence» au lieu d’«une double absence».
Djamel Benachour