01. Februar 2014 · Kommentare deaktiviert für Griechenland: Reportage zum mörderischen Push-back · Kategorien: Griechenland, Türkei · Tags: , , , ,

Des migrants naufragés accusent la Grèce

Les gardes-côtes auraient tenté de refouler un bateau transportant des Syriens et des Afghans, dont 11 ont péri en mer

MAX GYSELINCK pour „Le Monde“

Un grand sourire illumine le visage du petit Youssef, 15 mois. Bien au chaud dans les bras de sa mère, il rit, s’agite et s’amuse des grimaces de son père. Un enfant comme les autres… ou presque. Youssef est le seul enfant ayant survécu au terrible naufrage survenu dans la nuit du 19 au 20 janvier à proximité de l’île grecque de Farmakonisi et qui a coûté la vie à onze migrants, principalement des femmes et des enfants.

Ce soir-là, vingt-quatre Afghans et trois Syriens s’entassent clandestinement dans un petit bateau de pêche depuis le port turc de Didim. “ J’ai payé 6 000 dollars – 4 400 euros – au passeur pour ma femme, mon fils et moi „, explique Khaiber Rahemi, 25 ans, le père de Youssef. Deux heures de navigation plus tard, les voici dans les eaux territoriales grecques. L’Europe. “ Notre moteur est tombé en panne mais, assez vite, nous avons vu arriver vers nous un bateau grec. Je me suis dit : ça y est, notre longue route est finie. „

[…] Parti il y a cinq mois de Kaboul, cet ancien chauffeur de taxi raconte les semaines de marche dans les montagnes enneigées du Pakistan, puis les quatre mois dans un hôtel miteux d’Istanbul à attendre le feu vert du passeur. “ La lumière de ce bateau grec, c’était l’espoir concrétisé de cette vie nouvelle, sans danger ni violence, que ma femme et moi voulions pour notre fils. Mais rien ne s’est passé comme nous l’attendions. „

Khaiber affirme que les policiers grecs ont attaché une corde à leur bateau et ont commencé à les remorquer vers la Turquie. “ Je suis sûr de ce que je dis car je voyais les lumières „, insiste Khaiber. Les autorités grecques, transcriptions radar à l’appui, rejettent ces accusations de refoulement vers les eaux turques. Cette opération les placerait dans l’illégalité, le droit européen interdisant de renvoyer de force à la frontière des réfugiés et potentiels demandeurs d’asile.

Pour les ONG qui travaillent sur la question, le refoulement est pourtant une réalité en Grèce. En juillet 2013, un rapport d’Amnesty International dénonçait de telles pratiques et rappelait que, depuis août 2012, au moins 136 réfugiés ont perdu la vie alors qu’ils tentaient de rejoindre la Grèce en bateau depuis la Turquie. “ La différence ici, c’est que le drame s’est déroulé alors que l’embarcation des migrants était déjà sous le contrôle des gardes-côtes grecs et qu’il y a des survivants pour nous le dire „, souligne Georges Tsarbopoulos, le chef du bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à Athènes.

A part le petit Youssef et sa mère, Zoura, les quatorze autres survivants sont des hommes. “ Lorsque le bateau grec nous tirait de plus en plus vite en faisant des zigzags, l’eau rentrait de partout dans le bateau, alors les femmes et les enfants se sont réfugiés dans la petite cabine. Ils se sont retrouvés piégés lorsqu’on a sombré „, explique Abdul Sabur Azizi, 30 ans. “ Nous, les hommes, on a réussi à se hisser à bord du bateau grec malgré les tentatives pour nous en empêcher. Un Grec a coupé la corde reliant les deux bateaux „, soutient encore M. Azizi.

La marine grecque affirme de son côté que les migrants ont fait chavirer leur bateau lorsque deux d’entre eux sont tombés à l’eau et nie avoir refusé de prendre à bord les clandestins et les avoir maltraités. Mais sous la pression des ONG, la cour navale du Pirée a ouvert une enquête préliminaire.

“ Scandale politique “

[…] Selon les chiffres du HCR, 39 759 migrants ont été appréhendés lors de leur entrée en Grèce en différents points du territoire en 2013. Ils étaient 73 976 en 2012. Hébergés à Athènes, les seize survivants ont reçu une invitation à quitter le territoire dans les trente jours. Le HCR demande au gouvernement grec de leur accorder un permis de séjour afin qu’ils puissent témoigner dans la procédure judiciaire.

Abdul Sabur Azizi refuse de partir tant que les autorités ne lui auront pas remis les corps de sa femme de 28 ans, Elaha, et de son fils de 10 ans, Bezad, tous deux probablement prisonniers de l’épave. “ J’étais si fier de lui. Je voulais qu’il ait une vie loin des guerres de clans qui déciment ma famille „, dit en s’effondrant ce jeune homme qui avait tenu à raconter sans faillir son histoire, le regard hanté. “ Finalement, j’aurais préféré mourir avec eux. Regardez comme elle est belle et lui… si sérieux „, ajoute-t-il en montrant, dans le creux de sa main, deux minuscules photos plastifiées de sa femme et son fils. “ C’est tout ce qu’il me reste d’eux. „

Adéa Guillot

„Harcelés, des clandestins refluent de Grèce en Turquie. Istanbul Correspondance

En bas de l’échelle métallique qui descend à la cave d’un immeuble lépreux, la porte s’ouvre sur un réduit sans fenêtre, glacial, qui laisse juste la place d’étendre quelques matelas. Ibrahim Khalil, un jeune Sénégalais, partage l’endroit avec cinq de ses compatriotes.

La journée, il parcourt Istanbul pour vendre des montres, des ceintures ou des portefeuilles sur les trottoirs et les marchés. Le soir, il regagne son refuge dans le quartier de Kumkapi, là où se croisent des milliers de migrants, clandestins ou non, aux origines diverses. L’ancien quartier arménien est devenu une plaque tournante pour les voyageurs clandestins en chemin vers l’Union européenne (UE). Mais aussi, désormais, pour ceux qui en reviennent.

Ibrahim et ses cinq compagnons ont séjourné plusieurs années en Grèce, mais ils ont récemment fait le choix de rebrousser chemin. “ En trois ans passés entre Istanbul et Thessalonique, j’ai vu la situation se dégrader. Maintenant, la Grèce est un pays dangereux où tout le monde souffre „, raconte Ibrahim. Emmitouflé dans une couverture, Ousmane, qui a fait le même trajet, renchérit : “ C’est un soulagement d’être en Turquie, là-bas – en Grèce – , nous finissions par avoir peur de nous faire tuer. „ Depuis quelques mois, expliquent ces deux Sénégalais, les migrants sont de plus en plus nombreux à quitter la Grèce, chassés par la crise économique et par les violences racistes, pour retourner d’où ils étaient venus, à Istanbul.

Deux étages plus haut, dans le même immeuble, Zahir Sayeed et sa femme Parveen ont posé leurs maigres bagages il y a trois mois. Ibrahim “ vient souvent discuter „, en grec, avec ce petit homme de 32 ans, originaire du Bangladesh, passé comme lui par la Grèce. M. Sayeed dit avoir quitté Athènes après l’agression raciste dont a été victime l’un de ses amis, au printemps 2013. Des membres du parti Aube dorée, affirme-t-il, étaient venus faire une razzia anti-immigrés sur une place du centre-ville. Le couple vivait terré chez lui. Sa communauté a commencé à retourner en masse vers la Turquie, par petits groupes. A Istanbul, depuis qu’il est revenu, il coud des sacs et des chaussures dans un petit atelier. Le salaire – 200 lires turques (65 euros) pour soixante heures hebdomadaires – lui permet de survivre.

La Grèce, principale porte d’entrée des migrants vers la zone Schengen, tend à devenir une impasse. Ceux qui peuvent se faire envoyer un peu d’argent essayent de poursuivre leur route clandestine en passant par la Macédoine, la Serbie et la Hongrie, ou encore par la Bulgarie.

Mais pour des milliers de migrants en difficulté, la Turquie, dont l’économie reste dynamique, offre une solution de repli moins coûteuse. Cette tendance risque de se renforcer. La Turquie et l’UE ont en effet signé, en décembre 2013, un accord de réadmission des migrants entrés dans l’UE par la Turquie. Il prévoit que les autorités turques devront prendre en charge les clandestins interpellés dans la zone Schengen. En contrepartie, les Turcs seront progressivement autorisés à voyager en Europe sans visa.

[..] A Alexandroupolis, une ville proche de la frontière turque, les passeurs organisent désormais les trajets dans les deux sens. Ils se font à pied, de nuit, à travers champs, avec parfois la traversée périlleuse du fleuve Evros. “ Nous n’avons pas croisé un seul garde-frontière et nous sommes arrivés le matin à Edirne „, se souvient Ousmane. Pour réclamer de l’aide et un lieu pour se reposer, le groupe de Sénégalais se rend alors à la mosquée. “ Cinq minutes après, la police venait nous arrêter. Ici, même les imams sont policiers „, s’offusque Ibrahim.

Dans le centre de rétention d’Edirne, où ils sont placés durant trois jours, se croisent les flux migratoires. Si les migrants “ économiques “ sont tentés de revenir sur leurs pas, d’autres continuent à fuir en masse. “ Nous arrivions de Grèce et nous étions enfermés avec des dizaines de personnes, en majorité des Syriens, qui essayaient d’y aller „, note Ibrahim. “ Mais eux fuient une guerre, ils partent sans se retourner „, ajoute Ousmane.

Guillaume Perrier

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