Maroc-UE : Partenariat de mobilité ou de réadmission de migrants ?
Le 7 juin 2013, était signée à Luxembourg entre le Maroc, l’UE et 9 Etats membres de l’UE (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Suède, Royaume Uni), la « Déclaration conjointe établissant un Partenariat de mobilité entre le Royaume du Maroc et l’Union européenne et ses Etas membres ».
Signé par Cécilia Maelström, commissaire européenne aux affaires intérieures et Saâdeddine El Otmani, ministre marocain des Affaires étrangères et de la coopération, le texte fixe un ensemble d’objectifs politiques et prévoit une série d’initiatives en vue de garantir une gestion aussi efficace que possible des migrations. Les mesures prévues incluent des négociations à venir sur un accord destiné à faciliter l’octroi des visas pour certaines catégories de personnes, notamment les étudiants, les chercheurs et les hommes d’affaires. Le partenariat prévoit également la reprise des négociations sur un accord de réadmission des migrants irréguliers.
1- La réadmission, pièce maîtresse
Ce dernier aspect rentre dans le donnant – donnant ou « donner plus pour recevoir plus ». Le Maroc est ainsi appelé à rendre de bons et loyaux services aux voisins européens, en participant activement à la lutte contre l’émigration clandestine en direction du vieux continent. La Déclaration conjointe indique en effet qu’il est convenu de « reprendre les négociations entre l’UE et le Maroc pour la conclusion d’un accord de réadmission équilibré, prévoyant des dispositions relatives aux ressortissants de pays tiers, ainsi que des mesures d’accompagnement et conciliant le souci de l’efficacité opérationnelle avec l’exigence du respect des droits fondamentaux des migrants. Promouvoir une coopération active et efficace auprès de tous les partenaires régionaux sera essentiel pour soutenir les efforts dans ce domaine ».
Cet objectif se décline en deux initiatives proposées en annexe. La première, prise en charge par l’UE en tant que partenaire, consiste en la « reprise des négociations-sous réserve des directives à arrêter par le Conseil (européen)- d’un accord de réadmission UE-Maroc prévoyant aussi des dispositions relatives aux ressortissants des pays tiers ». La seconde initiative, à prendre en charge par les Pays-Bas, touche au cœur de la question : « Soutien du Maroc dans la mise en œuvre de l’accord UE de réadmission, soutenir le Maroc dans l’application du retour de ressortissants de pays-tiers, principalement les Africains subsahariens. Il s’agit notamment d’établir des procédures standards pour l’identification et la vérification (établissement de la nationalité) et l’aide à obtenir (ou remplacer) les documents de voyage, si nécessaire, en facilitant la coopération entre le Maroc et les pays d’origine, peut être à travers l’établissement de régimes de retours volontaires assistés (AVR). L’établissement de régimes AVR peut être une continuation d’un projet de l’OIM financé par les Pays-Bas (Ministère de la Justice : Service rapatriement et départ) ».
L’autre passage de la Déclaration conjointe UE-Maroc concerne un autre domaine sensible : « En matière de migration irrégulière, l’UE et le Maroc vont coopérer pour mieux lutter contre les réseaux de trafic de migrants et de traite d’êtres humains et assister les victimes. Ils travailleront de manière étroite pour assister le Maroc à mettre en place un système national d’asile et de protection internationale ». Autrement dit, le Maroc est appelé à jouer le rôle de gendarme de l’Europe pour stopper les flux migratoires. Un rôle que le Maroc a toujours refusé d’endosser (officiellement) et qu’il se doit à notre sens de continuer à refuser par respect aux droits humains et pour sauvegarder les intérêts politiques et géo-stratégiques du pays dans le continent africain, liés notamment à la nécessaire défense de la cause de son intégrité territoriale.
2- Un engagement à venir
Avec le texte conclu le 7 juin 2013, l’accord de réadmission n’est pas encore signé. Il s’agit simplement d’un engagement politique à le négocier en particulier, mais dans ce domaine, l’analyse que nous avions faite auparavant, en termes de « Réflexions sur le projet de partenariat euro-marocain pour la mobilité » (mars 2013), nous parait encore valable.
Le Maroc n’a pas jusqu’ici refusé de négocier l’accord, mais tout en menant les discussions et en poursuivant le dialogue depuis l’an 2000, il n’a jamais accepté de conclure l’accord.
Certes, les actions proposées par l’UE sont bien identifiées maintenant dans le cadre de l’annexe, mais tout reste encore à négocier et alors que le chapitre de la réadmission fait encore l’objet de beaucoup de controverses, de réticences et d’objections majeures, voir même de refus de la part du Maroc.
Au sujet précisément de ce chapitre, Menouar Alem, chef de mission du Maroc auprès de l’UE, a indiqué le 7 juin 2013 que, ne refusant aucun cadre de dialogue, le Maroc a réaffirmé à plusieurs reprises son engagement à conclure avec son partenaire européen un accord de réadmission mais qui soit équilibré, réaliste, inscrit dans la durée, applicable sur le plan opérationnel et respectueux de la dignité humaine des migrants.
Pour ce faire a-t-il expliqué, il faut inscrire cette problématique dans un cadre régional pour que chaque pays émetteur et de transit assume sa part de responsabilité (95% de l’immigration irrégulière au Maroc provient de sa frontière Est). Il faut également mettre en adéquation l’accord de réadmission entre l’UE et le Maroc avec l’article 13 de l’accord de Cotonou entre l’UE et les pays d’Afrique et entré en vigueur en 2003, afin de soulager légitimement le Maroc de la gestion des ressortissants originaires des pays-tiers.
Ceci dit, la vigilance intellectuelle et politique à notre sens est de mise, tant la pression de l’UE est énorme et le risque de mise devant le fait accompli est grand. C’est ce qui explique la tenue le 6 juin 2013 à Rabat d’une conférence de presse par une dizaine d’associations de droits de l’Homme et de protection des migrants au Maroc, dénonçant la signature de cette déclaration et la recrudescence de la répression du gouvernement marocain contre les immigrés subsahariens « irréguliers ».
3- Veille de la société civile
Dans un communiqué, le collectif d’associations comprenant notamment l’Association marocaine pour la défense des droits humains (AMDH), le Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (GADEM), l’Association pour la taxation des transactions pour l’aide aux citoyens (ATTAC) Maroc, le Conseil des migrants subsahariens au Maroc (CMSM), le Collectif des Communautés Subsahariennes au Maroc (CCSM) ; l’ODT-section des travailleurs immigrés, a rejeté « tout accord qui, au projet d’un assouplissement des conditions de délivrance des visas pour quelques uns, serait conditionné par un durcissement des entraves à la mobilité des autres », tout en dénonçant les violences physiques et morales qu’ils subissent et les dénis de droits qui leur sont infligés quotidiennement : « Au calvaire de vivre dans la précarité la plus absolue, dans des logements indignes, sans perspectives de travail régulier, sans accès aux soins s’ajoutent : les contrôles policiers au faciès ; la confiscation hors de tout cadre légal et non restitution de papiers d’identité, de téléphones, argent et autre objets personnels; rafles et descentes de police dans les quartiers ou les forets où se concentrent des migrants ; refoulements massifs à la frontière algérienne ».
Le communiqué a également appelé « l’ensemble des Etats africains, dont le Maroc à orienter leur politiques de coopération dans le sens d’un rapprochement réel entre les peuples et au service de leur sécurité dans l’ensemble du continent ».
Le collectif estime que ce partenariat, « illusoire pour la majorité des Marocains », risque de se concrétiser par une « politique de plus en plus xénophobe et discriminatoire vis-à-vis des autres ressortissants africains ».
4- Deux poids, deux mesures
Sur ce plan, il y’a lieu de relever le communiqué du ministère marocain de l’Intérieur en date du 14 juin 2013, qui exhorte de manière très polie et pleine de convenance les Européens ayant dépassé les trois mois de séjour accordés légalement aux touristes, à régulariser leur situation.
En effet, le communiqué précise que les autorités marocaine, en ces temps de crise économique et sociale que connait l’Europe avec la recrudescence du chômage et de la précarité, ont « constaté que de plus en plus de ressortissants de pays européens, espagnols, français et autres qui visitent ou séjournent au royaume du Maroc, y occupent à titre temporaire ou permanent, des emploi ou y créent des entreprises ».
Dans ce cadre, le gouvernement Benkirane s’est adressé en effet à ces sans papiers particuliers en des termes bienveillants, les invitant à régulariser leur situation administrative : « fidèle à sa tradition de pays hospitalier, ouvert et accueillant, le Maroc se réjouit de cette nouvelle marque de confiance dans sa politique de développement (…) il leur est recommandé de remplir auprès des services concernés les formalités relatives à leur séjour et à leurs occupations professionnelles ».
Ce faisant, comme l’a précisé un communiqué du bureau national de l’Organisation Démocratique des travailleurs Immigrés au Maroc affiliée l’ODT, il y’a lieu de relever de la part du gouvernement Benkirane la politique « de deux poids, deux mesures envers les migrants», sachant que le traitement à l’égard des Subsahariens n’est pas celui de l’invitation courtoise à la régularisation, mais le langage de la violence et du mépris, les rafles massives et l’usage de la force pour des refoulements abusifs à la frontière algérienne..
La thématique a fait également le 24 juin 2013, l’objet d’une question orale à la Chambre des Représentants, développée par la députée istiqlalienne Kenza El Ghali, mais le ministre de l’Intérieur a botté en touche, invitant en substance la parlementaire à constater de visu, au sortir même du Parlement, comment les Africains sont libres de leurs mouvements dans les rues adjacentes, y compris certaine femmes africaines qui ont des bébés dans les bras !..
De la même manière que le gouvernement marocain s’est toujours félicité de la régularisation des sans-papiers marocains dans les pays européens, il est temps à notre sens que l’opération de régularisation des sans-papiers se fasse au Maroc, sans distinction de la provenance des migrants ou de couleur de leur peau…
Sur ce plan, le Conseil National des Droits de l’Homme qui était déjà attendu en la matière depuis qu’il était encore CCDH, se doit à notre sens de formuler un avis consultatif sur tous les aspects concernant la gouvernance de l’immigration étrangère au Maroc, pour réparer notamment les effets désastreux d’un rapport sur les Subsahariens, élaborés en 2006 au nom du CCDH par certains responsables actuels du CCME. Maintes fois annoncées, les propositions et recommandations pour une politique marocaine rénovée et équilibrée concernant les étrangers au Maroc, respectueuse des droits humains, tardent à être élaborées et présentées pour passer à l’action et concrétiser les réformes nécessaires.
5- Etudes orientées
Le 14 juin 2013, ont été présentées à Bruxelles les résultats de deux études qui entre temps, ont été mises en ligne sur le site du CCME et programmées pour une autre présentation à Rabat le 1er juillet 2013 par les responsables de ce Conseil. Leur intitulé est comme suit : « Le mythe du transit, la migration subsaharienne au Maroc » et « Retour des migrants irréguliers au Maroc. Quelles politiques de réintégration ? ». Ces études financées par l’Union européenne ont été menées par l’Institut de recherches en politiques publiques (IPPR), en partenariat notamment avec le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger.
Si le partenariat en matière de recherche migratoire est à encourager à l’échelle internationale dans l’intérêt de notre pays et s’il est de bonne guerre que des institutions européennes de recherches défendent les politiques européennes dans le domaine migratoire, il est regrettable de constater qu’en dépit du partenariat assuré avec le CCME, des recommandations fondamentalement sécuritaires aient prévalu. Ainsi en est-il de la nécessité du « développement d’accords bilatéraux entre le Maroc et les pays d’origine pour la mise en place de protocoles en faveur du retour et de la réintégration des migrants en situation irrégulière (Voir IPPR « Le mythe du transit : la migration subsaharienne au Maroc », juin 2013, pages 7 et 70).
Il en est de même de la recommandation suivante : « l’UE devrait promouvoir avec le Maroc un partenariat équilibré répondant au statut avancé et ce dans le cadre du partenariat pour « la Migration, Mobilité, Sécurité » (Voir IPPR « Le mythe du transit », pages 7 et 71).
Or, on a vu que ce qui prime dans la déclaration conjointe établissant un Partenariat de Mobilité entre le Maroc, l’UE et ses Etats membres, ce sont les aspects sécuritaires. Les accords sur la facilitation des visas et la réadmission constituent un ensemble indissociable. Par ailleurs, pour la signature et la mise en œuvre d’un accord communautaire UE-Maroc sur la réadmission, se caractérisant notamment par l’efficacité opérationnelle, l’impératif suivant est mis en avant s’agissant en particulier des pays subsahariens : « Promouvoir une coopération active et efficace auprès de tous les partenaires régionaux sera essentiel pour soutenir les efforts dans ce domaine » (point 13 de la Déclaration conjointe).
6- Une « première » dont on doit se passer
Au total, les études de l’Institut de recherches en politiques publiques ne remettent pas fondamentalement en cause la légitimité d’un accord de réadmission UE-Maroc. Si objection il y’a, celle-ci se résume uniquement en l’absence pour le Maroc de moyens d’assurer le rôle de pays de réadmission et de sous-traitant sécuritaire, qui nécessiterait de ce fait une aide financière et logistique conséquente, pour notamment installer et gérer les centres de rétention..
Pour l’IPPR, ce n’est ni une question de droits de l’Homme, ni un problème de principe, ni en raison de la mise en avant des intérêts politiques et géo-stratégiques du Maroc : « La signature d’un tel accord de réadmission constituant un changement majeur dans le sens où cela permettrait au Maroc d’être le premier pays africain à signer un accord de réadmission avec l’Union européenne. Les implications seraient une augmentation significative de la responsabilité du Maroc dans le retour des migrants subsahariens en Europe et qui ont transité par le Maroc. La capacité du Maroc d’endosser cette responsabilité de manière efficace est contestable. L’UE cherche aujourd’hui à se doter d’une politique cohérente et globale en matière de migration dans le cadre du Partenariat « Migration, Mobilité et sécurité ». C’est l’occasion pour le Maroc et l’UE de développer des relations équilibrées en vue de mettre en place des conditions à la fois fluides et plus sûres pour la migration et la mobilité » (Voir « Le mythe du transit », page 72).
Au total, l’étude IPPR conforte la démarche européenne, consistant à envisager de fait la relation UE-Maroc non pas en termes de Partenariat pour la Mobilité, mais de partenariat pour la réadmission !