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Abed Chare
Les pays du Maghreb avouent leur impuissance face à la dérive libyenne
La situation se dégrade dangereusement en Libye. Le président tunisien Moncef Marzouki a tenté d’engager une démarche maghrébine volontariste commune pour y faire face, mais la situation ne semble pas encore mûre.
Le Maghreb assiste, impuissant, à la dérive libyenne. Signe de cette incapacité à agir de manière collective pour influer sur le cours des évènements, une réunion maghrébine prévue dimanche dernier à Tunis, et consacrée à l’examen de la situation en Libye, a été reportée à la dernière minute, en raison de développements nouveaux auxquels les pays maghrébins n’étaient pas préparés.
Le chef de la diplomatie tunisienne, qui devait héberger la rencontre, a annoncé le report de la réunion « à une date ultérieure en raison du manque de visibilité de la situation en Libye ». « Les consultations se poursuivront pour tenir cette réunion», a-t-il précisé. Dans la foulée, une autre réunion, plus large, avec notamment la participation de la Ligue arabe, de l’Union Européenne et de la France, a été reportée « à une date indéterminée ».
C’est la première fois que les pays maghrébins tentaient une approche commune de la crise libyenne. Le Maroc, qui n’ pas de frontière commune avec la Libye, était intéressé par une démarche qui lui permet de marquer sa présence. L’Algérie, officiellement arc-boutée à la doctrine de la non-ingérence, cherche un moyen de contenir la crise libyenne hors de ses frontières, sans trouver, pour le moment, des points d’appui sur lesquels s’appuyer en Libye pour pousser à une solution. Quant à la Tunisie, très liée économiquement à la Libye, et encore fragile à l’intérieur, elle souhaite une solution susceptible de contribuer à apaiser les tensions économiques et sociales en Tunisie même.
Eviter le scénario du pire
Mais tous redoutent le scénario du pire, vers lequel la Libye semblait précisément s’orienter fin mai, un mois avant d’hypothétiques élections législatives prévues pour le 25 juin prochain. Au niveau interne, la Libye présentait une carte politique particulièrement inquiétante, avec d’abord le règne des milices et des tribus, ensuite la présence de deux gouvernements qui se disputaient le pouvoir, et enfin, l’apparition d’un général disposé à mater les milices, et prêt à s’appuyer sur une présence étrangère si nécessaire.
Le général Khalifa Haftar, qui a décidé de s’attaquer aux milices dans la grande ville de l’est, Benghazi,fief de la contestation qui a mis fin au règne de Maammar Khadhafi, a affirmé qu’il accueillerait favorablement une action de l’Egypte pour sécuriser ses frontières. Selon des propos rapportés par la presse égyptienne, il aurait affirmé «soutenir toute frappe militaire de l’Egypte pour sécuriser ses frontières, même à l’intérieur de la Libye». Le gouvernement libyen n’est « pas en mesure de le faire», a-t-il dit, ouvrant une brèche dans le ghetto libyen : le général Haftar légitime en effet une éventuelle intervention de pays voisins, alors que les pays occidentaux ont déserté le pays après avoir provoqué la chute de Kadhafi.
Le général Haftar a d’ailleurs lancé des appels à l’Egypte et à l’Algérie. «L’Egypte et l’Algérie sont des Etats frères », a-t-il dit, ajoutant que l’intérêt de tous « est dans la sécurisation des frontières ».
Risque de dislocation
A défaut d’une sérieuse reprise en main, une dislocation de la Libye est publiquement évoquée chez nombre de spécialistes, qui redoutent une éventuelle prolifération d’organisations jihadistes, une crainte partagée aussi bien par les Occidentaux que par les pays de la région. L’incertitude en Libye a imposé aux pays maghrébins de tenter une approche commune, impulsée par une politique volontariste du président Moncef Marzouki. La situation ne semble cependant pas encore mûre, et les tentatives d’organiser une parade commune bute sur la réalité des relations intermaghrébines. Dès lors, chaque pays doit se contenter de mesures particulières pour contenir le danger aux frontières.
La Tunisie, embarrassée par une situation interne incertaine, à cause d’attentats terroristes sporadiques, agit par à-coups. Son conseil national de sécurité a décidé de prendre des « mesures préventives » dès la mi-mai. Fermeture temporaire des postes frontaliers, efforts de redéploiement de l’armée et des services de sécurité, ont ainsi permis de contrôler le flux de réfugiés et de préserver la paix aux frontières. Mais la Tunisie, qui abrite près de deux millions de ressortissants libyens, a surtout affirmé, depuis le début, son soutien au nouveau régime, s’attirant la sympathie de la plupart des dirigeants libyens, à l’exception d’un courant jihadiste virulent mais minoritaire.
Nouveau dispositif et manœuvres militaires en Algérie
L’Algérie a, de son côté, décidé de déployer de nouveaux renforts aux frontières, et prévoit même une nouvelle réorganisation de son dispositif militaire pour l’adapter à la menace provenant des frontières sud. La presse a annoncé l’envoi de 5.000 hommes supplémentaires tout le long de la frontière avec la Libye, d’où étaient entrés les membres du commando qui avait mené l’attaque contre le site gazier de Tiguentourine, près d’In Amenas, en janvier 2013. L’attaque s’était soldée par 37 morts, membres du commando terroriste ou étrangers.
La région d’Illizi devrait aussi être érigée en secteur opérationnel, avant un nouveau découpage du territoire algérien pour créer de nouvelles régions militaires. Illizi pourrait abriter le siège de la 7ème région militaire, pour rapprocher le commandement des zones directement menacées dans ces régions immenses. La wilaya d’Illizi est plus vaste que la Grande Bretagne. Pour bien montrer sa détermination, l’armée algérienne a organisé, fin mai, des manœuvres militaires, dont les images ont été diffusées par la télévision. Le chef d’état-major et vice-ministre de la défense, le général Gaïd Salah, y a assisté.