31. März 2013 · Kommentare deaktiviert für Algerien – Geschichte der Arbeitslosenbewegung · Kategorien: Algerien · Tags: ,

Pourquoi le mouvement des chômeurs est passé aux menaces

El Watan, 29 mars 2013

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Après les violences de la semaine, Yahia Bounouar, journaliste indépendant qui suit le mouvement des chômeurs depuis plus d’un an, raconte de l’intérieur les évolutions qui conduisent la Coordination à hausser le ton face aux autorités.

Jeudi 5 juillet 2012. Avec une trentaine de ses camarades venus de plusieurs wilayas du pays, Tahar Belabès organise un rassemblement sur la place du 1er Mai à Alger. Malgré le surprenant et imposant cordon sécuritaire, les manifestants s’installent sur la place et tiennent leur sit-in pendant près d’une heure. Ils seront ensuite interpellés et passeront la journée dans différents commissariats de police de la capitale. Cet événement marquera la véritable naissance de la Coordination nationale pour la défense des droits des chômeurs. En effet, jusqu’à cette date, la CNDDC fonctionnait sous l’aile du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap).

Le rassemblement du 5 juillet est la première action organisée, contre l’avis du Snapap. Le scénario se répétera une seconde fois en février 2013. Fin janvier, le syndicat, avec d’autres organisations, décide d’un rassemblement devant le ministère du Travail pour le 25 février, évitant soigneusement le 24, date anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures en 1971. Aussitôt, Tahar Belabès annonce, au nom de la CNDDC, une marche entre Ouargla et Hassi Messaoud pour le 24 février. C’est un double défi, et il le sait. Le noyau de militants change dès lors de stratégie et de tactique. Alors qu’auparavant, il se contentait de communiquer sur internet et de s’appeler les uns les autres au téléphone réunissant quelques dizaines de militants, ils décident cette fois-ci de s’organiser.

Terrain
Une première réunion installe un groupe chargé de préparer la marche : sécurité, communication, affichage, logistique, etc. En parallèle, des réunions sont organisées dans chaque quartier de la ville qui désigne chacun un représentant pour les réunions de préparation. Un appel à la cotisation est lancé et chacun y va de son petit billet. Des tracts sont imprimés, des gilets pour les personnes chargées de la sécurité sont achetés, les slogans sont validés et les banderoles immédiatement préparées. Le 24 février 2013, c’est la surprise. Plusieurs milliers de jeunes marchent sur Hassi Messaoud. Ils seront bloqués au bout de 25 km au barrage fixe à la sortie de la ville et se disperseront dans le calme. Pas un seul geste de violence n’est signalé.

La CNDDC a relevé le défi. Le lendemain à Alger, le rassemblement devant le ministère ne regroupera, comme d’habitude, que deux à trois cents personnes. Le succès de la marche du 24 février amène avec lui, paradoxalement, son lot de pressions, de menaces et d’intimidations. Tahar Belabès et le noyau de militants qui l’entoure ne connaissent qu’une seule réponse : le terrain. Forts de l’expérience du 24 février, ils décident alors de lancer un appel à un rassemblement «Millioniya» pour le 14 mars sur la grande place face à l’APC, rebaptisée, symboliquement «place Tahrir». Inquiets, paniqués pour certains, les dirigeants locaux et nationaux, plutôt que de prendre conscience de la colère des jeunes et d’ouvrir des discussions, versent immédiatement dans la manœuvre. Les jeunes sont accusés de faire dans la sécession, d’être manipulés par «une main étrangère» et par l’éternel épouvantail : «les islamistes».

Propagande
Le samedi 9 mars, un quotidien arabophone proche du régime accuse même le leader du mouvement, Tahar Belabès, d’avoir préparé le rassemblement du 14 mars en Suisse alors que celui-ci ne dispose pas de passeport. «Ils le savent, dit-il, mais qu’importe, le démenti sera publié après le rassemblement, le but étant de casser la mobilisation.» C’est ce qui se passera effectivement, le démenti ne sera publié que le vendredi 15 mars. Le lundi 11 mars, la télévision offshore organise, avec des élus locaux et le wali, une émission en direct de Ouargla, en présence de quelques jeunes présentés comme des dissidents de la CNDDC au cours de laquelle est annoncée l’annulation du rassemblement.

Cette campagne de propagande et d’attaque aura l’effet inverse et amplifiera le mouvement de sympathie pour les jeunes de la CNDDC et notamment pour Tahar Belabès. Résultat, le 14 mars, des milliers de personnes répondent à l’appel des chômeurs. Le rassemblement est un succès. La presse nationale et internationale couvre l’événement. Le lendemain, en visite dans une autre ville du Sud, à Béchar, le Premier ministre emboîte le pas et reconnaît la légitimité des revendications des jeunes de Ouargla. Face à ce retournement, les comités de wilaya de la CNDDC s’enflamment. A Ménéa, Adrar, Metlili, Djelfa, Médéa, les rassemblements se multiplient. A Laghouat, les jeunes chômeurs appellent à un grand rassemblement pour le samedi 23 mars, ceux d’El Oued pour le 30, Batna pour le 4 avril.

Dialogue
Le lundi 18 mars, alors que les préparatifs pour Laghouat s’accélèrent, Tahar Belabès est contacté pour rencontrer de hauts responsables, dont le Premier ministre. Ne refusant pas le dialogue, il répond qu’il doit s’organiser et consulter sa base, constituer une délégation nationale et préparer une plate-forme de revendications. Pendant ce temps, un groupe d’une quarantaine de députés, envoyé par les autorités, organise une série de conférences dans les wilayas. Partout, ils seront chassés par les jeunes et leurs conférences seront annulées : à Laghouat d’abord, puis à Ghardaïa, à Metlili et enfin à Ouargla. Devant l’affront, ils mettront fin à leur mission. Le 23 mars, le second grand rassemblement à Laghouat est également un succès mais aussi et surtout une démonstration de la capacité des jeunes à s’organiser et à occuper pacifiquement l’espace public. C’est ce qui fait peur aux autorités.

A partir de cette date, alors que les militants s’attendaient à l’ouverture d’un dialogue de la part des autorités, ils sont surpris par la montée en puissance de la répression. A Ouargla, les gendarmes chargent violemment un rassemblement pacifique de quelques centaines de chômeurs. A Ghardaïa, le rassemblement vire à l’affrontement, et le 26 mars, 18 militants sont arrêtés et tabassés. Huit d’entre eux sont emprisonnés. Sur le terrain, ce sont les «agents» du régime qui poussent les jeunes à la violence. La CNDDC, qui appelaient au dialogue dans ses précédents communiqués, hausse le ton.

Diviser
Accusant les autorités «d’utiliser la violence pour discréditer un mouvement qui revendique ses droits de manière pacifique», la CNDDC menace de «sortir dans la rue dans différentes wilayas et fait porter aux autorités l’entière responsabilité des éventuels dérapages». Tahar Belabès n’en croit pas ses yeux : «Le régime a utilisé toutes les cartes contre nous : régionalistes, sécessionnistes, main étrangère et maintenant il utilise la violence. Je me retrouve avec mes camarades à calmer les jeunes au moment où les représentants de l’Etat les poussent à la violence. C’est incroyable.

A Ghardaïa, le régime tente de diviser les Mozabites et les Arabes, mais ça ne fonctionnera pas. Après le rassemblement d’El Oued, prévu le 30 mars, nous préparons un autre rassemblement «Millioniya» pacifique, à Ghardaïa, en solidarité avec nos camarades arrêtés.» Entre ces jeunes, ces chômeurs, qui n’ont plus rien à perdre et qui viennent de donner une leçon magistrale à tous en réussissant, pacifiquement, à redonner aux luttes sociales et politiques de la dignité et de la vivacité et un régime qui semble totalement dépassé et incapable de réagir, le bras de fer est engagé.

Yahia Bounouar

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