17. September 2013 · Kommentare deaktiviert für Syrische Flüchtlinge in Bulgarien · Kategorien: Bulgarien, Syrien · Tags:

Osservatorio Balcani e Caucaso
La Bulgarie, en « première ligne de front » pour l’accueil des réfugiés syriens

Traduit par Jad Sur la Toile
Mise en ligne : samedi 14 septembre 2013
Chaque jour, venant de Turquie, des dizaines de réfugiés syriens fuyant la guerre franchissent les frontières de la Bulgarie. Sofia assure que ses capacités d’accueil sont déjà saturées, et attend plus de solidarité européenne. 500 réfugiés ont été installés dans le « centre de transit » de Pastrogor, près des frontières de la Grèce et de la Turquie. Témoignages et reportage sur les terribles conditions de vie dans cet « angle mort » de l’Union européenne.
Par Francesco Martino

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Le centre de Pastrogor

« Yasser, comme Yasser Arafat ? – Yasser, comme quelqu’un qui cherche un peu de paix sur cette terre ». Des pas résonnent sur la place centrale de Svilengrad, immense et vide, à quelques kilomètres des frontières avec la Turquie et la Grèce, noyée dans l’intense lumière d’une après-midi encore chaude de septembre.

Retrouvez notre dossier :
Les Balkans et la guerre en Syrie

« La première fois que je suis venu en Bulgarie, en 2008, nous avions participé à un festival folklorique à Pernik. C’était beau. Je m’étais dit alors que j’aimerais bien vivre dans ce pays. Je ne me doutais pas que j’allais y revenir pour fuir un cauchemar et me retrouver dans cette impasse ». Yasser est un Palestinien de Syrie, âgé de 31 ans, danseur professionnel. Il habitait un village proche de Damas. Il s’est enfui quand il a vu ses amis tomber dans les rues, sous les balles des snipers. Il s’est d’abord enfui en Turquie, puis il est passé en Bulgarie, en payant, comme tous les réfugiés, 600 dollars à un trafiquant qui s’est contenté de lui indiquer le chemin à prendre à travers les fourrés.

« On m’a pris, on m’a battu, et on m’a installé dans le camp de Lyubimets. Officiellement, c’est un ‘centre fermé’. En fait, c’est une prison. Il est interdit d’avoir un téléphone portable avec un appareil photo. Ils ne veulent pas que le monde connaisse les conditions qui prévalent à l’intérieur. Et le seul crime commis par ceux qui s’y trouvent est d’avoir voulu sauver leur peau », ajoute-t-il.

« La Syrie est morte. Il n’y a plus de Syrie ». Agir parle d’une voix tranquille, mais sur un ton qui n’admet pas la réplique. Il a 19 ans, il est arrivé en Bulgarie avec toute sa famille, son père, sa mère, et ses six frères et sœurs. Il vient de Qamishli, dans la région kurde du nord-est de la Syrie, juste à côté de la frontière turque. « Dans cette ville, nous sommes tous Kurdes », rappelle-t-il à plusieurs reprises. Il a étudié à Alep, puis s’est réfugié un an à Erbil, dans le Kurdistan irakien, où il travaillait dans un petit commerce. « Même là-bas, les Kurdes de Syrie ne sont pas les bienvenus », assure-t-il toutefois.

« Si l’armée d’Assad te prend, ils te fusillent parce que tu es Kurde. Et si tu veux pas combattre contre le régime, les rebelles te tuent parce qu’ils te considèrent comme un traître. Ce n’est plus possible de vivre en Syrie – je ne sais pas si nous pourrons y revenir un jour ». À Qamishli, la famille a abandonné sa maison, mais aussi « trois commerces, tous plus grands que des supermarchés », raconte Agir. « Mon père n’ose même pas pousser un soupir, ma mère s’interdit de pleurer ».

« Ma femme est morte sous mes yeux, durant un bombardement. Mon petit-fils, qui portait mon nom, a aussi été touché. Il avait sept ans. On a retrouvé son corps en lambeaux ». Yahya a 73 ans, il vient d’Alep. Il lui manque le bras gauche, mais je n’ai pas le courage de lui demander s’il l’a perdu durant cette guerre. Il a trois fils installé en Suède. L’un d’eux est revenu pour le faire sortir de Syrie.

Le père et le fils sont parvenus en voiture jusqu’à la ville de Raqqah, dans le nord de la Syrie, puis ils ont réussi à arriver en Bulgarie après avoir traversé la Turquie. A la frontière turco-bulgare, toutefois, ils ont été bloqués : Yahya n’avait pas les documents requis. Le vieil homme a du, lui aussi, passer 16 jours dans le « centre fermé » de Lyubimets. Il attend désormais que les autorités bulgares lui accordent le statut de réfugié. Ce n’est qu’à ce prix qu’il pourra reprendre son voyage et arriver enfin en Suède, où l’attendent ses fils. Il n’existe pourtant ni procédure précise ni délais pour répondre à cette demande d’asile. « Je suis seul, je suis vieux, je suis étranger, je ne peux rien faire d’autre qu’attendre », lâche Yayha.

Sofia craint un « raz-de-marée »

Depuis le début de la crise syrienne, la Bulgarie a vu exploser le nombre de réfugiés syriens et de demandeurs d’asile provenant de ce pays ravagé par la guerre civile. Tous arrivent après avoir transité par la Turquie, et presque tous ne voient en la Bulgarie qu’une étape de passage sur leur route vers les pays d’Europe du nord ou de l’ouest. Beaucoup, comme Yahya, ont des parents ou des amis qui les attendent, mais ils doivent d’abord réussir à sortir de l’impasse légale dans laquelle ils se trouvent.

Ces derniers mois, selon les données officielles, leur nombre a brusquement augmenté. Si bien que le gouvernement de Sofia craint un véritable raz-de-marée, bien difficile à gérer avec les faibles ressources du pays. « Depuis le début de l’année, nous enregistrions 400 arrivées par mois, mais en août, nous sommes arrivés à 1.500 personnes », reconnaît le vice-ministre de l’Intérieur Vasil Marinov. « Depuis le début septembre, nous avons déjà compté 550 personnes ». Chaque jour, la police des frontières arrête des dizaines de personnes et, selon les autorités bulgares, les faibles capacités d’accueil du pays sont déjà saturées.

Le pire est pourtant peut-être encore à venir, si la situation militaire continue à se dégrader. Le ministère de la Défense a annoncé la mise à disposition de 26 sites actuellement désaffectés, qui pourraient fournir un abri provisoire à quelque 10.000 personnes. Cependant, « une bonne part des édifices envisagés sont en très mauvais état », explique le ministre Angel Naydenov, précisant que « l’installation des réfugiés ne pourrait avoir lieu qu’après concertation avec les autres ministères, avec les municipalités concernées et la population locale ».

Préoccupée par des scénarii extrêmement coûteux en termes humains, politiques et économiques, Sofia a caressé l’idée de fermer ses frontières, une idée vite abandonnée parce qu’elle serait en contradiction flagrante avec les obligations internationales du pays, notamment avec la Convention de Genève sur les réfugiés, mais aussi parce qu’elle serait très difficilement applicable sur le terrain.

Dans le même temps, Sofia se tourne vers Bruxelles pour obtenir de l’aide. « Nous avons une grand expérience dans la gestion des situations d’urgence, mais nous voudrions recevoir un soutien technique des structures de l’UE qui s’occupe de l’accueil des réfugiés », a déclaré le ministre de l’Intérieur Tsvetlin Yovchev. « La Bulgarie pourrait recevoir des aides économiques directes pour faire face aux défis actuels », a ajouté le ministre, qui a rencontré ces derniers jours la Commissaire aux Affaires intérieures, Cecilia Malmström, ainsi que sa collègue en charge de la Coopération internationale et des aides humanitaires, Kristalina Georgieva.

Le 11 septembre, le gouvernement a annoncé qu’il avait libéré en urgence 350 places supplémentaires pour les réfugiés. « Je peux dire que la situation reste sous contrôle, malgré l’urgence », a déclaré le ministre Tsvetlin Yovchev.

Comment vivre à Pastrogor ?

Vue depuis le « centre de transit » de Pastrogor, l’assurance du ministre semble toutefois un peu suspecte. Le centre est situé à six kilomètres au nord de Svilengrad, tout près de la frontière. Son ouverture, en mai 2012, s’est accompagnée de nombreux scandales sur la gestion des fonds, tant européens que bulgares, affectés à ce centre.

Les capacités officielles d’accueil sont de 300 personnes, mais en ce moment, reconnaissent les responsables de la sécurité qui gardent l’entrée du camp – dans lequel nous n’avons pas eu le droit de pénétrer malgré une demande régulièrement déposée – plus de 500 personnes vivent à Pastrogor, dont 150 enfants. 90% d’entre eux viennent de Syrie. « Il n’y a plus de lits, il faut dormir par terre », explique Mohamed, un très jeune homme récemment arrivé d’Alep. « Nous essayons de tendre des couvertures pour conserver un peu d’intimité, mais il y a des chambres où vivent cinq familles ».

Un an après l’ouverture du centre, assurent tant les responsables de la sécurité que les résidents, les conditions de vie dans le centre sont catastrophiques. Les toilettes, se lamentent les femmes, sont pratiquement inutilisables, et des tensions se produisent quand il faut caser de nouveaux venus dans des salles déjà sur-occupées. Une révolte symbolique a même éclaté en juillet dernier à Pastrogor, pour essayer d’attirer l’attention des institutions et de la société bulgare.

Chaque résident reçoit 65 leva par mois (un peu plus de 30 euros) pour assurer sa subsistance. En théorie, une cantine est prévue, mais elle ne fonctionne pas. Le petit magasin du centre pratique des prix bien trop élevés, et tout le monde se plaint de l’unique médecin. Pour les familles qui ont des enfants en bas âge, la situation est dramatique. Trouver du lait en poudre ou des couches relève du défi.

Pastrogor est un centre « ouvert ». Cela signifie que les résidents peuvent sortir librement. Mais pour aller où ? Le plus proche village ne compte que 130 habitants, presque tous des retraités. Il y a une auberge, une petite épicerie, rien de plus. Quelques hommes assis autour d’une table de jardin regardent les informations de la chaîne al-Arabiyya. Ils sont tous Syriens, Kurdes ou Palestiniens de Syrie.

« En Syrie, nous vivions bien, nous avions tout », soupire Mohamed. « Regarde ! Il y a des hommes et des femmes de toutes les communautés du pays, et il n’y a aucun problème entre nous. En Syrie, nous sommes tous comme une seule grande famille – Mais pourquoi la guerre a-t-elle éclaté, alors ? » Mohamed regarde fixement la fumée de sa cigarette qui monte en l’air. Je ne sais pas ». Une discussion éclate en arabe parmi les présents, aussi intense que brève. Puis tous se taisent à nouveau.

Quelques habitants du village se plaignent de la présence des réfugiés, qui voleraient les fruits et les légumes des jardins. « Ils ont plus de droits que nous, qui vivons chez nous, mais qui sommes abandonnés par notre propre pays », nous répètent certains. Il n’y a pourtant pas eu de problèmes sérieux, et les autorités nous montrent les panneaux bilingues, rédigés en arabe. Malgré les apparences, beaucoup d’habitants du village essaient de donner un coup de main, pour venir en aide aux hôtes du centre.

Pour les demandeurs d’asile, l’alternative est d’aller à Svilengrad, où la vie est moins chère et où il est possible, quand l’on dispose d’une tablette ou d’un smartphone, d’essayer de capter des nouvelles du pays en se connectant au wi-fi gratuit des cafés. Pour s’y rendre, il faut cependant faire six kilomètres aller, et autant au retour. Il faut marcher à pied, ou se mettre à plusieurs pour prendre un taxi, qui demande six leva (trois euros), une dépense que tout le monde ne peut pas se permettre.

« Si vous le pouvez », nous dit Doha, par le truchement d’un interprète, « faites savoir que nous avons besoin de vestes, de vêtements chauds. Nous sommes venus de Syrie avec les seuls vêtements que nous portions sur nous. La nuit, il fait déjà frais, et l’hiver va vite arriver ».

Des vies suspendues, un temps entre parenthèses

« Pour ces personnes qui arrivent en Bulgarie pour fuir les conflits et la répression, le plus difficile est de comprendre l’ambiguïté des règles et leur application arbitraire », explique l’avocate Valeria Ilareva, qui travaille depuis dix ans dans le secteur de l’aide aux réfugiés et aux migrants. « Ceux qui traversent la frontière se placent formellement dans l’illégalité. Selon le droit international, toutefois, on ne peut pas sanctionner ceux qui franchissent des limites d’État dans le but de chercher protection. Celle-ci doit être assurée dès l’instant où la demande en est faite », explique l’avocate.

En Bulgarie, cependant, il faut qu’une demande d’asile soit enregistrée par l’Agence pour les réfugiés. Il existe donc une période d’attente, dont la durée est totalement imprévisible et aléatoire, durant laquelle les personnes qui ont présenté une demande d’asile, mais qui n’ont pas encore été enregistrés comme demandeurs d’asile, peuvent être soumises à l’action répressive de l’État.

Lundi 9 septembre, le Procureur général a même envoyé des « renforts » dans les tribunaux régionaux de Hasko et d’Elhovo – les deux juridictions les plus proches de la frontière turque. Les procès pour « franchissement illégal de la frontière » ont augmenté de 75% par rapport à l’an passé. Ils concernent principalement des personnes originaires de Syrie. En ce moment, 117 affaires sont en cours devant le seul tribunal d’Elhovo. Tous ces procès n’ont pourtant aucune base légale, selon le Comité Helsinki bulgare (BHK).

Selon Ilyana Savova, directrice du programme de défense légale des migrants et des réfugiés du Comité, « poursuivre en justice des demandeurs d’asile est contraire à la législation bulgare, cela n’a aucun effet préventif, et n’a donc pour seul résultat concret que d’augmenter de manière artificielle les statistiques sur l’efficacité de la justice ». Généralement, la première condamnation prévoit du sursis, mais les peines de prison deviennent effectives en cas de récidive – et ceux qui étaient venus chercher le salut en Bulgarie se retrouvent derrière les barreaux.

Selon Valeria Ilareva, l’enregistrement comme demandeur d’asile auprès de l’Agence pour les réfugiés est une procédure peu transparente et arbitraire, sans aucun délais prévisible. Ces dernières années, des demandeurs d’asile ont été expulsés alors qu’ils attendaient l’avis définitif de l’Agence. « Beaucoup de mes clients me demandent : que manque-t-il à ma demande ? Et je ne sais pas quoi leur répondre. Il va de soi que des situations totalement arbitraires de ce type créent les conditions idéales pour le développement des pratiques de corruption ».

« Ici, on attend, on attend, mais on attend quoi, au juste ? », demande Yasser, en arpentant les rues vides de Svilengrad. « Nous avons fui un pays où sévit une guerre sans loi, mais ici, où sont les règles ? Si ça continue comme ça, j’essaierai de revenir en Turquie, puis en Syrie. Chez nous, on risque de mourir d’un coup, d’une balle en pleine tête, mais ici, je me sens abandonné de tout et de tous, sans espoir et sans droits. C’est comme mourir à petit feu, jour après jour ».

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